Désobéissance civile et changer le monde (3/3)

Quel changement je veux voir dans le monde? Quel changement je peux créer dans le monde?

[Suite et fin des textes Désobéissance civile et Non violences (1/3) et Désobéissance civile et CNV (2/3)]

Dans les deux textes précédents, j’évoquais la désobéissance civile de Gandhi et les Actions Directes Non Violentes ainsi que les usages possibles de la force dans la philosophie de la CNV. Je me suis demandé quelles étaient les divergences entre ces différents courants non violents qui se veulent au service d’un changement dans le monde.
Dans ce dernier texte je reviens sur le changement que je pourrais déployer dans le monde & qui serait en accord avec une posture CNV.
Quel changement je veux voir dans le monde? Quel changement je peux créer dans le monde?

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa

Je veux que l’autre change

Joanna Macy, citée par P. Servigne, considère qu’il y a trois dimensions à ce qu’elle appelle le Changement de Cap. Les actions, les luttes qui cherchent à ralentir les dégâts en cours (activisme) ; l’analyse, la compréhension de la situation actuelle ainsi que le déploiement d’alternatives concrètes (changement par le faire); enfin le changement intérieur de conscience. Elle précise qu’aucune voie n’est plus importante ou « meilleure » qu’une autre : les trois simultanément sont nécessaires.

J’aimerai repréciser que Marshall Rosenberg a passé une bonne partie de sa vie à déployer le processus de la CNV afin que le plus grand nombre de personnes participe au changement social global en comprenant d’abord comment se libérer de ce qui n’est pas en harmonie avec le genre de monde que nous souhaitons créer et en déployant ensuite un état d’esprit qui nous incite à l’action. 

Êtes-vous d’accord que nous avons recours à l’utilisation de la force (protectrice ou répressive), car nous souhaitons qu’un changement ait lieu par rapport à la situation initiale ? Transformation rapide si danger immédiat, rectification si nous souhaitons que l’autre personne prenne la mesure de ses actes et change.

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Il y a des changements qui arrivent tous seuls et d’autres que l’on souhaiterait choisir ou accélérer.

Pour différencier ces 2 types d’usages de la force, Rosenberg indique qu’il est possible de se poser les deux questions suivantes :
1/ « En quoi voudrais-je que cette personne change de comportement ? »     
Personnellement, c’est une question que je me pose souvent et j’ai souvent une facilité déconcertante pour y répondre. Par exemple avec l’Enfant que j’accompagne parfois à grandir, quand je lui rappelle un soir sur deux l’importance selon moi du lavage de dents, j’aimerai ne plus avoir à lui rappeler. Je me dis : « Bah oui, j’aimerai qu’elle change de comportement : autogestion des chicots! »
2/ « Quelle motivation voudrais-je que cette personne ait pour faire ce que je lui demande ? ».
Il est vrai que je me pose rarement cette question.      
Est-ce que je veux que l’Enfant se lave les dents parce qu’elle en aura marre de m’entendre râler ? Ou parce qu’elle aura intériorisé telle quelle la règle sortie de ma tête « avant d’aller au lit « on » se lave les dents », sans la comprendre. La vie sera plus simple pour moi, mais pour elle ? Un apprentissage de la soumission et de la domination. Est-ce le reflet du monde que je désire voir ?       
Ou bien, j’aimerais qu’elle prenne conscience de sa propre responsabilité quant à avoir des dents les plus saines possibles, le plus longtemps possible ? Et qu’elle nourrisse à la fois ses besoins d’autonomie, de propreté et de soin (par exemple) ? Qu’elle choisisse en conscience ?

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L’usage répressif de la force ne pourra jamais permettre de développer une motivation qui soit interne et propre à la personne chez qui je veux voir quelque chose changer. Si je veux juste que l’autre change et point barre ma posture n’est pas Nonviolente dans le sens de Rosenberg.    

Me changer moi?

Se poser la question de la motivation avant de demander à l’autre personne de changer permet de repartir de soi et de se demander quels sont mes besoins (en général non nourris) de l’instant. Parce que la CNV nous le rappelle souvent, l’autre personne n’est que le déclencheur mais pas la cause.

Pour reprendre une citation d’Etty Hillesum, relevée par P. Servigne « je ne crois pas que nous puissions corriger quoique ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous ». Pınar Selek, citée par Guillaume Gamblin, le présente comme ceci : « On ne peut pas transformer un système quand on ne se transforme pas. Le système est en nous aussi, il existe par nous, nous le faisons vivre ! ».

Et plus le temps passe et plus je me dis cela : je veux vivre dans un monde plus frugal, plus convivial, sans domination (et j’en passe). Suis-je capable moi de ne pas exercer de domination (typiquement domination adulte quant au lavage de dents, mais aussi raciale, validiste, agiste, de genre, etc.) ? De travailler à réduire ma consommation de façon à ce que mes besoins soient nourris de façon ajustée (ne plus avoir besoin de manger une tablette de chocolat quand je me sens triste car j’ai besoin de réconfort)? Arrivé-je à être en lien avec par exemple mes voisin∙es ou des inconnu∙es que je croise, de cœur à cœur ?

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Pour reprendre la célèbre phrase de Gandhi : puis-je être le changement que je souhaite voir dans le monde ?
Et c’est en cela que la CNV est un formidable étai, un incroyable outil (le mot est réducteur je trouve), un support inépuisable (j’ai l’impression !) d’empuissantement, car chaque jour, je vois plus clair en moi et je me transforme dedans.  Pas à pas, je me métamorphose et mon jardin intérieur ressemble à ce que j’aimerais voir à l’extérieur : plus de joie, plus de couleurs, plus d’amour, de fragilité et d’interdépendance ! J’ai parfois l’impression de rester immobile assis dans le fond de mon canapé rouge mais au final, ça déménage à l’intérieur !
C’est une tache à ma mesure, qui me donne aussi de la puissance et qui me permet de me dire que chaque jour je fais ma part avec mes moyens.

Agir « par » l’environnement ?!

Je pense à Starhawk et à ce qu’elle nomme l’action directe libérée (empowered direct action). Son but ? « Faire sentir aux personnes qu’un monde meilleur est possible, qu’elle peuvent faire quelque chose pour le faire exister et qu’elle sont des compagnes ou des compagnons de valeur dans cette lutte. L’action directe libérée signifie donner puissance à la radicalité de notre imagination et revendiquer l’espace nécessaire pour faire exister nos visions ». Elle est magie, elle est l’art de changer les consciences ».

Quant à changer nos consciences, je terminerai par cette vision de Jean-Philippe Faure, formateur CNV, que je n’incarne pas du tout encore mais je ne peux résister à la partager car elle me décoiffe et me parle énormément !

Il considère que « si j’agis pour mon environnement je me place dans une position dualiste du pour et du contre, je perpétue des systèmes de croyances positives et je maintiens l’isolement de l’individu ». Il parle lui d’agir par mon environnement.            
Ainsi, les besoins des humains, des autres qu’humains et de la planète sont pris en compte (l’interdépendance, si chère à la CNV). Il distingue trois usages de la force : l’usage environnemental de la force (agir par), l’usage protecteur de la force (agir pour) et enfin l’usage punitif de la force (agir contre). Il appelle au respect organique plutôt qu’à l’obéissance ou à la désobéissance.

Et Jean-Philippe Faure va plus loin, il considère que nous sommes tellement « imbriqué∙es, intriqué∙es [… que] je suis mon environnement et mon environnement est moi-même ». Nous avons les mêmes besoins car nous sommes Un, traversé∙es par cette essence qui est la vie, qui nous fait vibrer à l’unisson.  Et ça, ça me parle beaucoup ! 🙂

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Pour aller plus loin

Faure Jean-Philippe et Hemelsoet Muriel : www.voie-de-l-ecoute.com/documents-paratges.html, consulté en Août 2019
Gamblin Guillaume, L’insolente, Dialogues avec Pınar Selek, Ed. Cambourakis en partenariat avec la revue S!lence, 2019, p187-188, 212p.
Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, 2005 (édition 2015), p201-211, 260p.
Servigne Pablo, Stevens Raphaël, Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible, Seuil, 2019, 323p.
Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, Magie et Politique, p145 pour la citation, Cambourakis, 2015.

Désobéissance civile et CNV (2/3)

Quels sont les usages possibles de la force en CNV?
L’Action Directe Non Violente est-elle compatible avec la pratique de la CNV ?

[Suite du texte Désobéissance civile et Non violences]

Dans le texte précédent, j’évoquais la désobéissance civile de Gandhi et les Actions Directes Non Violentes que j’ai connues. Nous avons vu qu’il y a diverses façon de faire de la désobéissance qui se revendiquent de postures (différentes elles aussi) non-violentes .
Dans ce second texte, je voulais évoquer les usages possibles de la force en CNV. A quels endroits se placent les Actions Directes Non Violentes que j’ai effectuées ? Dans le dernier texte je reviendrai sur le changement que je veux voir dans le monde, qui pourrait être en accord avec une posture CNV.

J’ai écrit ce deuxième texte avec la même intention que le texte précédent : Rappeler qu’il y a plusieurs courants se reconnaissants de la non violence. Clarifier, du mieux que je puisse, la différence, d’après chaque courant les différents usages possibles de la désobéissance (/de la force).
Quels sont les usages possibles de la force en CNV ? L’Action Directe Non Violente est-elle compatible avec la pratique de la CNV ?

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L’usage protecteur de la force

Contrairement à la philosophie de Gandhi ou de M. L. King, la Communication Nonviolente nous propose lorsqu’une Vie ou des droits sont en danger de recourir à l’emploi protecteur de la force. Cela n’est possible que si nous ne portons aucun jugement sur la personne ou sur son comportement. Rosenberg pense que c’est essentiellement par inconscience que les individu∙es adoptent des comportements dangereux pour eux-mêmes/elles-mêmes et pour les autres et que ce n’est pas par nature que les gens sont violents. Cette vision est à la base de toute la philosophie de la CNV. C’est un postulat, vous pouvez ne pas être d’accord ;-). Cet axiome invite à un changement de paradigme total, à un bouleversement de notre regard sur le monde. J’aime croire que les humains ne sont fondamentalement pas violents car cette vision me permet de rester en lien, de me relier à des gens bien différents de moi !              

Ainsi, l’usage protecteur de la force est inévitable quand il n’y a plus d’échange ou qu’il n’y a plus le temps d’échanger (imminence du danger). L’intention est alors d’éviter les dommages corporels, les dommages matériels ou les injustices.                
L’exemple habituel est cet enfant qui traverse la route sans regarder, celui qui traversait déjà un peu n’importe comment dans mon texte sur la colère. Mais là, un gros camion lui fonce dessus ! Je ne vais pas me mettre à « faire de la CNV » : « mon très cher, j’observe qu’un camion de 22m3 avance vers toi à une vitesse supérieure à 50km/h et que tu ne l’as pas encore vu [observation], je me sens MEGA inquiet car j’ai besoin de sécurité [Sentiments, Besoins], pourrais-tu stp… [demande] ». Non, je me jette, je le remets sur le trottoir, j’ai fait un usage protecteur de la force.

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C’est un peu comme ça que je vois la situation… face à l’imminence du danger 😉

Après, je pourrais éventuellement, me mettre à l’écoute de mes sentiments (auto-empathie car GROSSE peur) pour pouvoir lui expliquer mon geste de façon neutre (sans le gronder car j’ai été inquiet, sans le sermonner) et enfin lui demander comment il ou elle se sent (demande de connexion).

L’usage répressif de la force

Cela est très différent de l’usage répressif de la force (punition, reproches, menace, etc.), qui lui n’est pas non violent d’après la philosophie de la CNV.  A ce moment, nous considérons que l’autre a fait quelque chose de « mal », et qu’il faut recourir à la douleur, la restriction, l’humiliation pour qu’elle « comprenne », pour qu’elle se repente ou change. Cet usage perpétue une norme sociale donnée qui légitime l’usage de la violence pour solutionner les conflits.

Car quand nous avons peur qu’une punition arrive… où portons-nous notre attention ? Nous sommes attentifs∙ves à ce qui pourrait nous arriver ! C’est le phénomène de la peur du gendarme. Le simple fait de savoir qu’il existe un système pénitentiaire et judiciaire, qui pourrait sévir si nous faisons quelque chose de mal ou de hors la loi suffit en général pour que la majorité des personnes respectent la loi (quitte à trouver de petits arrangements). Il n’y a pas besoin qu’il y ait un∙e gendarme derrière chacun∙e de nous. Nous nous gendarmons nous-mêmes, par peur des sanctions, le processus est intériorisé. Ainsi, respecter la limite de vitesse en voiture pour ne pas avoir d’amende et peut-être ne plus se rappeler que la limite sert à quelque chose (par exemple, que les piétons aient plus de chance d’avoir la vie sauve en ville ou limiter la pollution).

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La peur découle de l’usage répressif de la force (menace, humiliation, punition, etc.)

Deuxièmement, nous avons plus de mal à répondre aux besoins de la personne qui fait un usage de la force sur nous. En effet, comment arriver à rester centré∙e sur les sentiments et besoins de la personne qui fait un usage de la force sur nous ? Que ce soit à cause de la douleur, la restriction ou l’humiliation nous allons avoir tendance à nous méfier, à entendre ses mots comme des critiques ou des jugements, nous mettre sur la défensive, nous replier, prendre de la distance ou encore nous montrer agressifs∙ves (répondre, chercher à se venger). Utiliser la force répressive, contraignante, limite nos chances d’être entendu∙es et coupe le flux naturel d’interdépendance entre les humains.        

Quel(s) usage(s) de la force en Action Directe ?

Dans le cas de la désobéissance civile, j’ai l’impression que nous partons du principe qu’il y a danger immédiat pour l’humanité (dérèglement climatique), qu’il n’y a plus le temps de « faire de la CNV », qu’il n’est plus possible même de respecter la Loi car elle nous met tous et toutes en péril. Nous décidons alors d’avoir recours à l’usage protecteur de la force.   
Mais les changements ne sont pas forcément visibles juste après l’action (rarement même). Ils dépendent de la réaction de la « cible » (banque, institution), de son bon vouloir ; des temps de négociations, de plaidoyer sont nécessaires. Alors, il se peut que nous choisissons de réitérer, de faire une autre action, similaire ou différente, puis une action de plus grande ampleur. Bref, nous poursuivons notre stratégie car nous souhaitons à tout prix voir du changement chez l’autre. Marshall disait « nous ne pouvons jamais forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit » enfin… si l’on cherche à rester dans l’intention de la CNV ! ^-^. Alors si suite à ma « demande », je ne peux pas entendre un « non », c’est que j’ai formulé une exigence.          

Après une action directe non violente, sommes-nous capable collectivement d’entendre un « non » de la cible ? Suis-je capable moi Noa d’entendre un « non » de la cible ? Je ne crois pas. Je me sens impuissant alors je désire continuer à me battre pour limiter le dérèglement climatique . Ne suis-je pas d’ailleurs en train de me dire que la cible fait quelque chose de « mal » et que moi je lutte pour le « bien » ? Ne suis-je pas en train de tomber dans une vision d’ennemi (la « cible »), une catégorisation (« pouah, quel pollueur, profiteur, irresponsable ») ?

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Est-ce que nous ne sommes pas en train d’essayer d’intimider la cible (en jouant sur son image publique) pour qu’elle change de conduite donc d’avoir recours quelque part à l’usage répressif de la force ?   
Je cite encore une fois Rosenberg : « dès lors que nos besoins sont satisfaits de cette manière, non seulement nous perdons mais nous contribuons à la violence sur Terre » (quand bien même notre « problème » aurait été résolu à court terme).

J’ai été fervent militant pendant de nombreuses années au sein des actions directes non violentes. J’aime ce qu’elles permettent de faire collectivement : regagner de la puissance d’agir, retrouver un sentiment d’appartenance (« je ne suis pas seul∙e à avoir ces valeurs »), parfois changer concrètement les choses. Je voulais juste souligner que la non violence d’une action directe peut-être encore une fois, très différente de la philosophie de la Nonviolence de Rosenberg.
Plus je baigne dans la CNV, plus il m’est difficile de retrouver l’élan à faire des Action Directes NV, je suis partagé et pourtant mon cœur s’interroge : alors comment changer le monde en restant en cohérence avec mes valeurs écologiques et non-violentes dans le sens de Marshall ? [Lire le texte suivant]


Pour aller plus loin

Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, 2005 (édition 2015), p201-211, 260p.

Désobéissance civile et non violences (1/3)

De quelle violence ou de quelle non-violence parle-t-on ? De quelle désobéissance parle-t-on ?

J’ai toujours eu envie de changer le monde, de transformer l’existant en un lieu moins inégalitaire, plus équitable, plus doux, plus convivial, plus écologique, plus frugal. Plus désirable finalement. Cette quête a été mon fil conducteur pendant de nombreuses années, la flamme derrière ma militance, le leitmotiv de mon engagement.           
Après deux ans de baignade délicieuse dans l’univers de la Communication Nonviolente (CNV), j’ai eu envie de produire un texte qui viendrait mettre en regard, de façon subjective et partielle, deux façons de faire de la désobéissance civile non-violente (Gandhi, l’Action Directe Non Violente). Dans un second texte, pour continuer dans cette lignée désobéissante, je reparlerai des usages possibles de la force en CNV.  Enfin, le dernier texte me permettra de revenir sur le changement que je veux voir dans le monde, qui serait en accord avec une posture CNV.

J’ai écrit ce premier texte avec ces intentions : Rappeler qu’il y a plusieurs courants se reconnaissants de la non violence. Clarifier, du mieux que je puisse, la différence, d’après chaque courant les différents usages possibles de la désobéissance (/de la force).

Je crois que la question de ce premier texte est de savoir de quelle violence ou de quelle non-violence parle-t-on ? e quelle force (/désobéissance) parle-t-on ?

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La non-violence de Gandhi

Pour écrire ce paragraphe, je me suis principalement inspiré d’une lecture : un chapitre de Robert Deliège sur la vie de Gandhi, parce qu’au final, je connaissais peu de choses sur la vie du Mahatma.
La non-violence pour Gandhi est une méthode d’action, politique et sociale. Un moyen et une fin en soi. Dans les luttes -plutôt connues, comme la marche du sel- qu’il a menées, il mélangeait désobéissance civile de masse, résistance et/ou boycott. Il invitait les militant∙es à ne jamais avoir recours à la violence sous quelle que forme que ce soit, à ne jamais montrer leur propre colère, voire à se laisser placidement arrêter. Robert Deliège raconte que « l’exemple donné par les participant∙es, […] leur détermination sont essentiels à la réalisation du but final ».

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Gandhi : « An eye for an eye makes the whole world blind » – La maxime « œil pour œil » rend l’ensemble du monde aveugle »

Gandhi a inspiré de nombreux mouvements de libération et de défense des droits dans le monde. Il est reconnu pour mélanger fermeté, compromis, persuasion et discussion. J’ai compris, avec étonnement, qu’il ne considérait pas la pression morale, le chantage comme des violences. Également, Gandhi valorise la mortification et le jeûne sévère, que d’autres courants pourraient voir comme de la violence (physique) exercée sur soi-même.  Pour lui, ce sont des actes moraux, spirituels, purificateurs. Parfois, Gandhi a eu recours à des grèves de la faim comme un autre moyen dans la poursuite de ses luttes.
La non-violence n’a jamais été pour Gandhi un acte de faiblesse, un renoncement et/ou l’expression d’une peur, c’était un choix conscient, une solution pour changer la société. Gandhi pensait que la non-violence ne se résume pas au fait de ne pas tuer, mais de ne plus avoir d’ennemi∙es. D’aller jusqu’à les aimer et de ne plus accepter que du tort leur soit fait !               
En cela, je crois le courant de la CNV et la pensée de Gandhi se rejoignent.      

De ce que j’ai compris, en revanche, Gandhi était conscient qu’il s’agissait là d’un idéal de perfection, d’une exigence, qui plus est très élevée. De mon côté, quand je pratique la CNV, une fois que je me suis donné de l’auto-empathie ou une fois que mes besoins sont tranquillement nourris, je ne me dis jamais qu’il faut que j’aime autrui. L’envie de me connecter (besoin d’interdépendance) et l’empathie découlent naturellement, si j’en ai l’élan, une fois que j’ai pris soin de moi. Également Rosenberg insiste très souvent sur la vision d’ennemi qui vient créer une opposition, redire qui a tort-qui a raison, alors qu’en CNV, avant toute chose se situe l’intention : quelle qualité de la relation j’aimerai tisser avec cette personne ?

L’Action (directe) Non Violente

J’ai milité pendant longtemps en pratiquant des Actions Directes Non Violentes, en compagnie des associations comme Alternatiba, ANV COP21, Les Ami∙es de la Terre ou encore ATTAC. Il s’agissait par exemple d’aller bloquer une banque pour sensibiliser les employé∙es au fait que leur (haute) direction continue de financer des énergies fossiles les plus polluantes. Demander que l’information remonte en interne. Puis recommencer et ainsi alerter à la fois l’opinion publique mais également causer assez de perte de temps, d’argent, ou nuire à l’image publique de la banque en question pour commencer à pouvoir faire pression sur la (haute) direction.

L’Action Non Violente (ANV) considère d’une part que les personnes qui militent se battent pour le « bien commun » ou disons pour le mieux-être de la grande majorité de la société civile voire de la planète. Ces actions peuvent utiliser des moyens légaux (lobbying, plaidoyer, actions en justice, actions légales) mais aussi la légitime défense ou encore la désobéissance civile. Elles cherchent à faire prise, là où individuellement nous pourrions nous sentir impuissant∙es (et atterré∙es !), pour nous redonner collectivement de la puissance d’agir et espoir.

(Noa – Licence CC BY-NC-SA 4.0)
2018 – Une action légale pour dénoncer la prolifération des panneaux publicitaires vidéos énergivores.

A aucun moment, les militant∙es ne s’en prennent aux personnes : il y a une distinction faite entre les actes effectués (estimés violents : comme construire un pipeline) et les personnes (dirigeantes, décisionnaires ou exécutantes) qui les commettent. Il y a toujours une proposition décente, une porte de sortie laissée à « l’adversaire ».

Le consensus d’action est le suivant : jamais de dégradation matérielle ni de violence physique ni de violence psychologique. Nous agissons à visage découvert, avec calme, respect mais détermination et avec nos papiers d’identité dans la poche. Pourquoi ? Parce que nous sommes tous∙tes responsables, nous savons à quoi nous attendre avant chaque action (risque légal, juridique) et nous sommes prêt∙es à assumer cela jusqu’au bout (interpellation, garde à vue, amendes, prison!).

Car, selon la durée et la complexité des actions menées, la répression peut survenir ; je dirai même il faut compter avec elle ! En effet, je me dis que la lutte non violente vient déranger l’ordre établi (que ce soit l’État, des institutions, des organismes privés), bref une forme de pouvoir -« pouvoir-sur »- quel qu’il soit… Pas étonnant je trouve qu’une forme de répression soit alors déployée pour étouffer cette perturbation !

(Licence CC-BY-SA 2.0 Wikimedia Commons)
2017 – L’action de masse de désobéissance civile « Ende Gelände » : blocage d’une gigantesque mine de charbon allemande, avec des militant∙es venu∙es de nombreux pays.
On voit des groupes de militant∙es (en blanc) face aux lignes des forces de l’ordre (tenues foncées).

D’ailleurs, c’est cette répression, souvent brutale, qui vient pointer là où sont les enjeux de la lutte et où se cache le pouvoir (qui est protégé par le Pouvoir en place). L’utilisation de la non violence permet aussi de bénéficier d’un plus grand soutien auprès de l’opinion publique : comment ne pas être un peu outré∙e en voyant des militant∙es pacifistes, les bras en l’air, dénonçant une injustice quelconque qui se font malmené∙es/ arrêté∙es par une troupe de policier∙es ou de gendarmes carapacé∙es ? Les forces de l’ordre seraient-elles « du côté » des banques ?

Et du côté de la CNV, qu’en est-il ? Quelle désobéissance est possible? [Lire le texte suivant]


Pour aller plus loin

Deliège Robert, Gandhi sa vie et sa pensée, Chap V., p. 149-170. books.openedition.org/septentrion/13947?lang=fr, Consulté en Août 2019.
Wikipédia : fr.wikipedia.org/wiki/Non-violence
Les sites des associations : Alternatiba, ANV COP21, Les Ami∙es de la Terre ou encore ATTAC

Gagnons en clarté sur la Violence, la Colère et la Non Violence !

Quelle différence entre colère et violence? Est-il possible d’incarner la philosophie de la CNV et d’exprimer pleinement sa colère (ou toute autre émotion !)?

Quand je parle (rapidement) de la Communication Nonviolente (CNV) à des personnes qui ne connaissent pas, j’entends de temps à autres que la « Non violence c’est pour les Bisounours© » ou « que si c’est pour ne plus se disputer, ça ne m’intéresse pas ! » ou encore « super, je vais pouvoir apprendre à contrôler mes émotions ? ».
Hum, s’il y a bien une chose que je ne contrôle plus depuis la découverte de la CNV, c’est bien mes émotions ! 🙂  

J’ai écrit ces quelques lignes avec l’intention suivante : clarifier la différence entre colère et violence ; puis redire qu’il est tout à fait possible d’incarner la philosophie de la CNV et d’exprimer pleinement sa colère (ou toute autre émotion !).

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa


De la colère

La colère une réaction de protection. Elle résulte d’une blessure, d’une frustration, d’un sentiment d’injustice, de la rencontre d’un obstacle, de l’atteinte à mon intégrité physique ou psychologique, d’une effraction sur mon territoire. Elle me permet de faire face à des situations d’urgence.

A l’origine, la colère est une émotion.

L’émotion est un mouvement énergétique interne, rapide (max quelques minutes) et dont l’expression est plutôt identique chez tous les humains. Cette réaction du corps signale que j’ai besoin de mobiliser mes ressources pour agir aux modifications de mon milieu (capacité d’adaptation). L’émotion est au service de la survie et du bien-être des humains. Il y a six émotions fondamentales : joie, colère, peur, tristesse, surprise, dégout.

Le sentiment lui découle de la façon dont je traite la prise de conscience d’une émotion, il est déjà un peu plus lié avec la pensée. Il peut durer jusqu’à dix minutes. On peut compter plusieurs centaines de sentiments !

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Avez-vous déjà éprouvé une colère qui dure plus de 10minutes ?        
J’ai déjà vécu des colères froides, ces colères rentrées qui restent et qui me rongent de l’intérieur, bien longtemps après que le stimulus, le déclencheur soit parti. Je rumine et j’en veux à autrui. Jean-Philippe Faure, formateur en Communication Nonviolente parle de « colère psychologique ». Le sentiment se fixe autour de la croyance que ce qui se passe est erroné. Je me dis que « j’aurais du » ou « je n’aurais pas du » faire cela. Enfin, le plus souvent je me dis que l’autre n’avait pas le droit ou qu’il∙elle aurait du faire ceci ou cela ! Dans ce cas, je suis coupé∙e de mon émotion.

La colère indique que nous avons un besoin insatisfait, c’est un voyant sur notre tableau de bord. Et pour nourrir mes besoins, de l’énergie me sera nécessaire… or la colère me prive de cette énergie quand je me fixe sur les torts de l’autre, quand je veux le∙la punir (même en pensée). Ce qui m’amène à cette citation de Bouddha ^^ : « Rester en colère, c’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un∙e mais c’est vous qui vous brûlez. »

Parfois, aussi, il est possible de rencontrer une « colère paravent » qui cache ou qui découle d’une autre émotion : quand je dissimule ma peur ou quand je réprime une tristesse profonde. Parfois aussi, je peux avoir peur de ma colère ou me sentir en colère d’être en colère (eh oui !).       
L’exemple typique c’est ce parent qui hurle sur son enfant qui a traversé la rue sans regarder. La colère sort, derrière pourtant il y a eu l’inquiétude, la peur. Je crois qu’il est plus facile (mais si tragique) de calmer son stress en criant un bon coup sur autrui plutôt qu’en disant combien j’ai eu peur ou que je me suis senti∙e triste.

Jean-Philippe Faure rappelle combien il est précieux que je sache entendre rapidement les signaux d’alarme qui s’allument en moi. Est-ce que je me répète en pensée des choses en boucle ? Est-ce que je n’arrive pas à digérer quelque chose ? Est-ce que je sens une tension dans mon corps ? Est-ce que je suis en train d’accumuler ? Pensez aux fois où vous avez répété la même chose vingt fois, au début, vous ne vous sentiez pas si agacé∙e que ça…        

Quand la colère n’est plus « appropriée », quand elle se coupe de l’émotion du départ, elle devient « excessive » comme le nomme Isabelle Filliozat, écrivaine, psychothérapeute et conférencière sur les émotions, la parentalité. La colère n’est plus au service de notre bien-être au contraire, elle peut-être destructrice pour moi ou pour l’autre. Par exemple, je peux tomber « à bras raccourcis » sur une personne qui n’est pas vraiment le stimulus de départ. Si, j’ai passé une mauvaise journée au travail, j’en veux à mon patron mais je n’ose pas lui dire ; de plus je me sens stressé∙e car mon∙ma partenaire est souvent absent∙e mais nous n’avons pas pris le temps d’en discuter ; en rentrant je crie sur mon enfant qui a renversé sans le faire exprès son yaourt ! Cette projection sur une autre personne, pour laquelle je « risque moins » en laissant sortir ma colère atténue à court terme mon stress, mon impuissance. Mais quelles sont les implications à long terme pour tout le monde? 

A partir d’un certain seuil de colère, la tension corporelle s’accroit, cela peut être douloureux et il ne me sera plus possible d’exprimer ma colère sans nuire à mon environnement. Je vais basculer dans la violence.

De la violence 

La définition wikipédiesque de la violence est « l’utilisation de force ou de pouvoir, physique ou psychique, pour contraindre, dominer, tuer, détruire ou endommager ». Muriel Hemelsoet, formatrice CNV, en parle comme une réaction « inadaptée ».

Beaucoup de personnes (mettons 1 sur 4) peuvent me rétorquer spontanément qu’elles ne sont pas violentes quand j’évoque la Communication Nonviolente. J’aime cette réponse d’Issâ Padovani, formateur CNV certifié, qui demande alors : « que vous dites-vous à vous-mêmes, quand vous avez fait ou dit quelque chose de moins que parfait ? ».

Bien évidemment, la violence la plus connue, la plus visible est celle que l’on exerce sur autrui par la force, la menace. Mais en CNV, la violence n’est pas seulement un pistolet sur la tempe ou un coup de poing sur la figure, elle est présente toutes les fois où nous portons un jugement, une étiquette, où nous assouvissons nos besoins au détriment d’autrui, où nous utilisons l’humiliation, la culpabilisation, etc. Je peux exercer de la violence (inconsciente ou consciente) envers moi-même comme envers un∙e autre (humain ou autre qu’humain) !        

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La violence découle d’une séparation avec l’autre (je ne vois plus que nous sommes interdépendant∙es), de la frustration et de l’impuissance. Isabelle Filliozat le dit encore plus simplement : trop de « je ne peux pas » (= trop de situations où mes besoins ne sont pas nourris) et je deviens tenté∙e de faire un usage de la force pour contraindre autrui (car il devient urgent que je nourrisse mes besoins, help !, je ne vois plus comment faire autrement !)

La violence est une stratégie (tragique !) pour décharger la tension, une tentative pour compenser notre détresse ou éviter de sentir notre souffrance. Elle permet à court terme de se sentir puissant∙e, de restaurer l’estime de soi, de se sentir vivre (en cela qu’elle peut être exaltante, jouissive), d’être valorisé∙e dans certains groupes. Elle peut aussi servir à confirmer le rôle qui est attendu de moi (« mon parent dit que je suis mauvais∙e, mon parent doit avoir raison, alors je casse des choses, etc.»). Enfin, dans certains cas, comme le souligne I. Filliozat, elle permet aussi de s’approprier une violence dont on a été victime ou témoin pour mieux la dépasser.

Nous pouvons subir des violences de par nos engagements, nos appartenances sociales, raciales, ou de genre, etc. Ces violences politiques qui touchent tout un groupe social découlent de pratiques systémiques, politiques, culturelles, et sociales qui les ont légitimées et permises.

Pour moi, la violence prend le plus directement racine dans l’impuissance. Alors j’écrirai bientôt un article sur la puissance personnelle ! 🙂

Reconnaître, exprimer puis calmer la colère

Marshall B. Rosenberg, le créateur du processus de la Communication Nonviolente, lance cette phrase choc (j’ai été stupéfié en la lisant la première fois !) : « tuer des gens est un acte trop superficiel », cela n’exprime que de façon sommaire ce que nous ressentons quand nous sommes en colère.

Avec la CNV, nous sommes invité∙es à exprimer pleinement la colère. Les émotions sont, comme je l’indiquais au début, avant tout des énergies qui nous parcourent. Si la CNV peut nous convier à acquérir leur maitrise, il n’est jamais question de les contrôler ! Nous n’allons donc pas chercher à diriger, à canaliser, mais plutôt placer notre attention pour discerner ce qui remue en nous, puis aller dans son sens. Je ne mets rien sous le tapis en CNV.  

Si je commence à mettre des sentiments sous le tapis, j’encoure le risque de me retrouver à un moment (inopportun) face à un hippopotame d’émotions… Danger !
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Alors, comment faire pour exprimer (puis calmer) sa colère ?  
J’essaye de m’éloigner du stimulus dans un premier temps. Si la colère se calme et s’apaise c’est que l’émotion est passée (je vérifie dans mon corps qu’il ne reste aucune tension), elle n’était empêtrée d’aucune croyance.

Si la colère est encore là, malgré la mise à distance, je vais essayer de l’exprimer pleinement et de la vivre entièrement. Je peux choisir de l’exprimer par le corps (faire un effort physique intense, crier dans un coussin, gribouiller) ou par la parole. C’est à ça que servent les dancefloors CNV! Je peux y faire « pisser mon chacal » c’est-à-dire laisser sortir tous les jugements et croyances qui me viennent à l’esprit. Quand je traverse une colère-coupée de l’émotion c’est-à-dire mêlée de pensées, je me raconte souvent qu’autrui est la cause de ma colère (« il∙elle n’aurait pas du ! »). Alors je donne à l’autre du pouvoir sur moi. Pouvoir qu’il∙elle n’a en réalité ja-mais ! Je suis responsable de mes émotions et de mes sentiments.

Si j’ai peur de ma colère, si je sens que je reste « dans la tête », je peux visualiser de nouveau le déclencheur, repartir des sensations dans le corps. Je peux aussi tenter de me dés-identifier : « Je ne suis pas en colère, il y a de la colère en moi aussi elle ne peut pas me dépasser, me submerger ». Plus mon rapport avec la colère est détaché, plus la colère se décolle de moi.

Au bout d’un moment, quand la colère a été suffisamment exprimée (corps calme, pensées apaisées) il me sera possible d’y voir plus clair. Je vais pouvoir « descendre en moi ». Je peux commencer à chercher : « je suis en colère car j’ai besoin de … ». Retour à la CNV ! 😉 Il est possible qu’alors j’approche un sentiment intense qui sera très rarement de la colère mais, on l’a vu au début, plutôt de la tristesse ou de la peur.    

Si l’autre personne est en colère, que puis-je faire ? Si j’en ai l’élan et les moyens, et seulement à cette condition, je me rappelle que la colère retombe quand elle se confronte à la tranquillité. Je vérifie ma qualité de centrage, je peux sourire (sans ironie !) et respirer lentement. J’essaye de me mettre à l’écoute des besoins non-nourris qu’exprime l’autre personne.

Voilà pour aujourd’hui quant à la colère, la violence et une partie de la philosophie de la CNV. Au plaisir d’en discuter plus longuement avec vous, dans les commentaires ou en direct. 😉


Pour aller plus loin

Faure Jean-Philippe et Hemelsoet Muriel : http://www.voie-de-l-ecoute.com/documents-paratges.html, consulté en Août 2019
Filliozat Isabelle, Il n’y a pas de parent parfait, Marabout, 2012 (5ème édition), 316p.
Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, p179 -200, 2005 (édition 2015), 260p.
Wikipedia : Définition de la violence, https://fr.wikipedia.org/wiki/Violence, consulté en Août 2019

De l’écriture inclusive…

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa

Le discours, d’après moi, étant un instrument de pouvoir, j’ai choisi d’avoir recours à l’écriture inclusive pour participer à la déconstruction des inégalités et des stéréotypes de genre dans notre société et commencer ainsi à dés-invisibiliser le féminin dans le français. C’est un positionnement politique bien sûr, car je ne suis pas d’accord avec l’idée que le masculin représenterait l’universel, le générique ou serait neutre, alors que le féminin serait particulier, spécifique.
Je souhaite passer du pouvoir-sur au pouvoir-du-dedans (plus d’infos ici!) : me dire que ce langage est aussi le mien et que je peux décider de son évolution pour qu’il corresponde au monde qui me parle.

Pour le dire autrement, j’ai besoin de cohérence, de pouvoir parler et penser en étant en accord avec mes valeurs. Car cela me redonne de la puissance, de l’authenticité, de la confiance en moi.

Je rejoins Pınar Selek, cette activiste turque antimilitariste et féministe, qui dit : « j’aime danser avec la manière de dire les choses ».

Techniquement !

J’utiliserai donc assez souvent le point médian « ∙ » dans les terminaisons ainsi que l’alternance des pronoms personnels, et j’accorderai parfois le participe passé ou l’adjectif avec le nom le plus proche (règle de proximité).

  • Chacune pour dire chacun et chacune; toustes pour tous et toutes
  • Ilelle pour il et elle, il ou elle. Parfois, un « iel » ou « yel » (au pluriel : iels ou yels) pourra m’échapper, ce néologisme est la contraction des deux pronoms personnels et permet également de dépasser l’éternelle binarité des genres dans laquelle je ne me reconnais pas.
  • Si les mots ont des terminaisons vraiment différentes selon leur genre, je peux les répéter : la traductricele traducteur
  • Pour la règle de proximité, je pourrais écrire « Le raisin et la pomme que j’ai dévorée » ou « Le raisin et la pomme que j’ai dévorées ». L’exemple le plus connu, que j’affectionne particulièrement est : « que les hommes et les femmes soient belles ! »
  • J’utiliserai le mot personne ou humain plutôt que homme (aoutch!)!
  • Il se peut aussi parfois que je n’utilise pas l’écriture inclusive, soit que j’ai oublié ^^, soit pour garder une certaine souplesse et de liberté d’écriture. Vous verrez ainsi parfois écrit : individu et d’autres fois individue; humain∙e ou humain, etc.

PolémiqueS

Il est possible que ce choix ne sera pas au goût de tout le monde, pour avoir déjà vu de nombreux commentaires sur internet à ce sujet et avoir été témoin du passage à l’écriture inclusive dans la revue S!lence… jamais le courrier des lecteurs et des lectrices n’a jamais été aussi virulent ni nombreux!
Certaines personnes trouvent que cela alourdit et complexifie la lecture (besoin de clarté? de tranquillité?), d’autres que c’est un outrage à la langue (besoin de stabilité?). Je comprends que ma stratégie ne réponde pas forcément à vos besoins. Je vous propose de réfléchir ensemble à une nouvelle stratégie qui nous convienne à tous… et toutes! Repartons de nos besoins et trouvons une solution créative joyeuse et encore une fois empuissante ! 🙂

(Licence CC0 Public Domain)

Pouvoir ou Puissance ?

J’évoquais dans un article précédent que la violence, pour moi, prend principalement racine dans la frustration, l’impuissance. Il m’a semblé alors bien naturel de creuser sur la question de la puissance. Mais qu’est-ce que la puissance ? Est-ce comme le pouvoir ? La puissance est-elle une « mauvaise » chose ?
J’écris ce texte avec cette intention : clarifier la différence entre puissance et pouvoir. Introduire les termes de Starhawk qui me sont si chers : pouvoir-sur et pouvoir-du-dedans puis parler d’empowerement.

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa


De la puissance

Une fois en atelier de Communication Nonviolente (CNV), nous étions en train de chercher les besoins non nourris d’un∙e participant∙e qui racontait une situation vécue et à un moment, j’ai proposé « Puissance Personnelle ». Regards horrifiés du groupe et gros blanc. Je ne pourrais plus citer de mémoire ce que mon interlocutrice∙mon interlocuteur m’a répondu mais c’était quelque chose du genre : « je ne suis pas une personne qui cherche le pouvoir ».

J’ai été étonné puis peiné car pour moi la puissance est un besoin universel (au sens de la CNV) et donc ni bon, ni mauvais. Je pourrais le traduire par « accomplissement de soi » ou « autonomie » ou « force intérieure » ou encore parfois « souveraineté ». D’où vient cette confusion sémantique entre nous ?

Quand je regarde dans mon Larousse de Poche (1995, p537) à Puissance, je lis« (n.f.) 1/ Autorité, pouvoir de commander, de dominer ; 2/ état souverain ; 3/ qualité de ce qui peut fournir de l’énergie ». Dans le Larousse en ligne apparaît la notion (mais également en second !) de : « Caractère de ce qui peut beaucoup, de ce qui produit de grands effets (syn. Efficacité) ».     
Arg !? La puissance servirait-elle d’abord à dominer ? …

Quelques mots de Starhawk

Starhawk est une sorcière néopaïenne, militante, féministe, écologiste et non-violente. Elle a écrit de nombreux livres, notamment autour des actions directes non violentes internationales (quoique altermondialistes 😉 ) et des fonctionnements des groupes (associatifs, militants ou manifestants) pour les rendre plus horizontaux. Sa réflexion m’est chère et m’a souvent aidé à penser. 

Rêver L’obscur, retraduit en français en 2015 aux éditions Cambourakis.

Anne Querien, une sociologue et traductrice de Rêver l’Obscur deStrahawk dit : « La découverte que nous avons faite dans [ce] livre, c’est que le pouvoir n’est pas un, donc à s’approprier, mais deux ».

Starhawk parle en effet de « pouvoir-sur », ce pouvoir qui domine, qui force à faire, qui sépare, qui impose, qui meurtrit ou qui assassine. C’est que j’interprète comme le Pouvoir dans un sens habituel : « ça » vient du haut et « ça » écrabouille… Plus ce pouvoir coule, plus il nuit à d’autres. Il ne peut être exercé par une minorité et peut être perdu. Starhawk note que « les systèmes patriarcaux font passer l’agression pour le vrai pouvoir, et nient les pouvoirs que représentent par exemple le fait de créer ou de prendre soin ».

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Comment je me représente le « pouvoir-sur »

Mais il y aussi, dit-elle, le « pouvoir-du-dedans », ce pouvoir vivant, qui résiste, qui fabrique, mais ne se nourrit ni ne se déploie jamais au détriment d’autrui, humains ou autres qu’humains. C’est le pouvoir de, celui que je lie à la Puissance, qui découle à la fois de l’interdépendance entre nous tous et toutes (humains ou autres qu’humains) et de la capacité de chacun∙e à déployer sa force, ses couleurs, sa créativité, ses talents, ses envies, son unicité, etc. Ce pouvoir part du bas et irrigue&alimente les alentours. C’est aussi un pouvoir qui s’arrose lui-même : plus de puissance d’agir me donnera plus de puissance d’agir, il est peu probable que je la perde.   
Isabelle Filliozat, écrivaine, psychothérapeute et conférencière sur les émotions&la parentalité explique autrement : exercer un certain pouvoir (je peux cracher, je peux courir) n’est pas la même chose que prendre le pouvoir. Quand je peux, j’ai la capacité ou je suis libre de. Après je peux déployer des stratégies bien différentes, qui prennent en compte ou non autrui et ses besoins…  Elle rappelle que pouvoir est un verbe et que je peux le conjuguer différemment !

Plus le pouvoir-du-dedans coule, plus ce pouvoir peut émerger chez d’autres. Car la puissance personnelle est inventive, partageuse, elle permet de créer de nouvelles réalités et de faire un pas de côté par rapport au schème du pouvoir-sur.  J’observe la même chose que Starhawk, l’idéologie dominante dans notre société occidentale ne donne que peu de crédit au pouvoir-de, celui-ci est peu reconnu ou peu valorisé. Est-ce parce qu’il est si subversif et… puissant ? 🙂

J’ai plus de pouvoir que la voisine, ahah ! Victoire ?

Isabelle Filliozat se demande si j’ai plus de pouvoir que mon∙ma voisin∙e, puis-je pour autant déclarer que j’ai ou j’exerce une quelconque supériorité sur il∙elle ? Non, je peux seulement dire que je suis dans situation privilégiée. Hum, la question des privilèges…

Si la puissance est un besoin au sens CNV, tous les humains en ont potentiellement besoin (à un moment où un autre), cependant, du fait que nous nous inscrivons dans un monde & dans une société (occidentale pour ma part) structurellement inégale, en réalité, nous n’avons pas tous∙toutes le même pouvoir-de !

Le concept d’empowerment définit le développement du pouvoir d’agir des individus et des groupes sur leurs conditions sociales, économiques ou politiques ou écologiques. Il est à la croisée entre émancipation et transformation du monde existant (logique contestataire). Il signifie reprendre le pouvoir (pourvoir-de) de la part de personnes qui en sont ou en ont été privées pour des raisons structurelles, intrinsèques à une société donnée (expl : occidentale). Au Quebec, on parle d’« autonomisation », chez Judith Butler –philosophe américaine- d’« agentivation ». Moi, j’aime parler de puissance d’agir, d’empuissantement. C’est le pouvoir-du-dedans de Starhawk, quand il s’inscrit dans un contexte politique donné.

Viens t’empuissanter ! 

Comment s’empuissanter ?

Starhawk conseille de « pas avoir peur de voyager vers l’obscur », de descendre en soi-même, pour guérir et sortir de la haine de soi. Elle invite à prendre conscience que nos relations (humaines ou avec les autres qu’humains ou la terre) nous nourrissent et nous soutiennent. Et je crois bien que c’est ce que propose aussi la CNV, même si les mots sont différents. Rosenberg rappelle très souvent que nous sommes interdépendant∙es ; que nous ne pouvons jamais forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit (je n’utilise jamais le « pouvoir-sur » si je veux rester dans l’esprit de la CNV) et la CNV globalement nous invite à effectuer en permanence (ou presque) un retour sur soi.             
Exemple : Ce n’est pas la personne qui « me met en rogne » car je suis responsable de mes sentiments. Cette personne n’est que le stimulus, alors, je descends en moi-même : quels sont mes besoins ? Je creuse jusqu’à l’apaisement.

Pour ma part, plusieurs dispositifs ont été d’autant de clés pour gagner en Puissance Intérieure. Tout d’abord, tous les outils politiques d’empowerement : travailler dans des associations différentes, découvrir puis développer la gouvernance horizontale-partagée dans un groupe associatif, développer ma pensée politique (prendre conscience de la convergence des luttes, de l’imbrication des dominations, que mon parcours-mes difficultés-mes privilèges ne sont pas les mêmes que mon∙ma camarade de militance mais ne rien prioriser ni n’oublier personne, etc.), travailler à l’autogestion, questionner en permanence mon rapport au pouvoir (pouvoir-sur), travailler mon cadre et ma posture, savoir d’où je parle et avec quelle intention, et à chaque frottement (interne ou externe) : en parler, échanger, écouter, parler pour moi (au je), penser, rencontrer encore, grandir.

Mon deuxième grand coup de cœur à été les actions directes non violentes. Cette façon de militer que j’ai pratiqué pendant de nombreuses années m’a permis de me rendre compte que je ne n’étais pas seul∙e, que d’autres personnes souhaitaient aussi changer le monde : lutter contre l’investissement dans les énergies fossiles les plus polluantes, demander une taxation sur les transactions financières pour récolter des fonds, empêcher la création d’autoroutes inutiles ou de pipelines, mobiliser pendant les COP (Conférences Internationales « pour » le climat). Ces actions me permettaient d’avoir prise (besoin de puissance personnelle) sur des situations extérieures qui entraient en conflit avec mes valeurs tout en nourrissant mon besoin d’appartenance.

Enfin, sans surprise, le travail sur moi avec notamment la pratique intensive de la CNV. Chaque jour je constate comme la CNV permet de retrouver plus de pouvoir-de et de se guérir soi. La bienveillance, pensée par Rosenberg, vient me réparer et m’apaiser. Ensuite, et seulement ensuite, elle part de moi pour englober avec douceur les autres (humains) et enfin elle me reconnecte à l’ensemble du monde (autre qu’humains). J’ai l’impression que Starhawk voit les choses de la même façon : elle déploie (et transmet !) sans arrêt par les discours, par les rituels, soin et réparation, à la triple échelle de la terre, des individus et des groupes.

Je rêve d’un monde où chacun∙e aurait conscience de son propre pouvoir-du-dedans et aurait la capacité de l’exercer. Aussi, quelques soient vos manières, de vous empuissanter, puissent-elles croitre, se transmettre et proliférer !

(Licence CC0 Public Domain)

Pour aller plus loin 

Filliozat Isabelle, Il n’y a pas de parent parfait, Marabout, 2012 (5ème édition), 316p.
Larousse de Poche, Dictionnaire des noms communs, 1990 (réédition de 1995), p537, 848p. Et en ligne : www.larousse.fr/dictionnaires/francais/puissance/65022 [consulté en Août 2019]
Querrien Anne, Starhawk, écoféministe et altermondialiste, in Multitudes 2017/2 (n° 67), p54-56. DOI : 10.3917/mult.067.0054 [Consulté en Août 2019]
Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, 2005 (édition 2015), 260p.
Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, Magie et Politique, Cambourakis, 2015.
Wikipedia : Définition fr.wikipedia.org/wiki/Empowerment, consulté en Août 2019