Quand je parle (rapidement) de la Communication Nonviolente (CNV) à des personnes qui ne connaissent pas, j’entends de temps à autres que la « Non violence c’est pour les Bisounours© » ou « que si c’est pour ne plus se disputer, ça ne m’intéresse pas ! » ou encore « super, je vais pouvoir apprendre à contrôler mes émotions ? ».
Hum, s’il y a bien une chose que je ne contrôle plus depuis la découverte de la CNV, c’est bien mes émotions ! 🙂
J’ai écrit ces quelques lignes avec l’intention suivante : clarifier la différence entre colère et violence ; puis redire qu’il est tout à fait possible d’incarner la philosophie de la CNV et d’exprimer pleinement sa colère (ou toute autre émotion !).
Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa
De la colère
La colère une réaction de protection. Elle résulte d’une blessure, d’une frustration, d’un sentiment d’injustice, de la rencontre d’un obstacle, de l’atteinte à mon intégrité physique ou psychologique, d’une effraction sur mon territoire. Elle me permet de faire face à des situations d’urgence.
A l’origine, la colère est une émotion.
L’émotion est un mouvement énergétique interne, rapide (max quelques minutes) et dont l’expression est plutôt identique chez tous les humains. Cette réaction du corps signale que j’ai besoin de mobiliser mes ressources pour agir aux modifications de mon milieu (capacité d’adaptation). L’émotion est au service de la survie et du bien-être des humains. Il y a six émotions fondamentales : joie, colère, peur, tristesse, surprise, dégout.
Le sentiment lui découle de la façon dont je traite la prise de conscience d’une émotion, il est déjà un peu plus lié avec la pensée. Il peut durer jusqu’à dix minutes. On peut compter plusieurs centaines de sentiments !
Avez-vous déjà éprouvé une colère qui dure plus de 10minutes ?
J’ai déjà vécu des colères froides, ces colères rentrées qui restent et qui me rongent de l’intérieur, bien longtemps après que le stimulus, le déclencheur soit parti. Je rumine et j’en veux à autrui. Jean-Philippe Faure, formateur en Communication Nonviolente parle de « colère psychologique ». Le sentiment se fixe autour de la croyance que ce qui se passe est erroné. Je me dis que « j’aurais du » ou « je n’aurais pas du » faire cela. Enfin, le plus souvent je me dis que l’autre n’avait pas le droit ou qu’il∙elle aurait du faire ceci ou cela ! Dans ce cas, je suis coupé∙e de mon émotion.
La colère indique que nous avons un besoin insatisfait, c’est un voyant sur notre tableau de bord. Et pour nourrir mes besoins, de l’énergie me sera nécessaire… or la colère me prive de cette énergie quand je me fixe sur les torts de l’autre, quand je veux le∙la punir (même en pensée). Ce qui m’amène à cette citation de Bouddha ^^ : « Rester en colère, c’est comme saisir un charbon ardent avec l’intention de le jeter sur quelqu’un∙e mais c’est vous qui vous brûlez. »
Parfois, aussi, il est possible de rencontrer une « colère paravent » qui cache ou qui découle d’une autre émotion : quand je dissimule ma peur ou quand je réprime une tristesse profonde. Parfois aussi, je peux avoir peur de ma colère ou me sentir en colère d’être en colère (eh oui !).
L’exemple typique c’est ce parent qui hurle sur son enfant qui a traversé la rue sans regarder. La colère sort, derrière pourtant il y a eu l’inquiétude, la peur. Je crois qu’il est plus facile (mais si tragique) de calmer son stress en criant un bon coup sur autrui plutôt qu’en disant combien j’ai eu peur ou que je me suis senti∙e triste.
Jean-Philippe Faure rappelle combien il est précieux que je sache entendre rapidement les signaux d’alarme qui s’allument en moi. Est-ce que je me répète en pensée des choses en boucle ? Est-ce que je n’arrive pas à digérer quelque chose ? Est-ce que je sens une tension dans mon corps ? Est-ce que je suis en train d’accumuler ? Pensez aux fois où vous avez répété la même chose vingt fois, au début, vous ne vous sentiez pas si agacé∙e que ça…
Quand la colère n’est plus « appropriée », quand elle se coupe de l’émotion du départ, elle devient « excessive » comme le nomme Isabelle Filliozat, écrivaine, psychothérapeute et conférencière sur les émotions, la parentalité. La colère n’est plus au service de notre bien-être au contraire, elle peut-être destructrice pour moi ou pour l’autre. Par exemple, je peux tomber « à bras raccourcis » sur une personne qui n’est pas vraiment le stimulus de départ. Si, j’ai passé une mauvaise journée au travail, j’en veux à mon patron mais je n’ose pas lui dire ; de plus je me sens stressé∙e car mon∙ma partenaire est souvent absent∙e mais nous n’avons pas pris le temps d’en discuter ; en rentrant je crie sur mon enfant qui a renversé sans le faire exprès son yaourt ! Cette projection sur une autre personne, pour laquelle je « risque moins » en laissant sortir ma colère atténue à court terme mon stress, mon impuissance. Mais quelles sont les implications à long terme pour tout le monde?
A partir d’un certain seuil de colère, la tension corporelle s’accroit, cela peut être douloureux et il ne me sera plus possible d’exprimer ma colère sans nuire à mon environnement. Je vais basculer dans la violence.
De la violence
La définition wikipédiesque de la violence est « l’utilisation de force ou de pouvoir, physique ou psychique, pour contraindre, dominer, tuer, détruire ou endommager ». Muriel Hemelsoet, formatrice CNV, en parle comme une réaction « inadaptée ».
Beaucoup de personnes (mettons 1 sur 4) peuvent me rétorquer spontanément qu’elles ne sont pas violentes quand j’évoque la Communication Nonviolente. J’aime cette réponse d’Issâ Padovani, formateur CNV certifié, qui demande alors : « que vous dites-vous à vous-mêmes, quand vous avez fait ou dit quelque chose de moins que parfait ? ».
Bien évidemment, la violence la plus connue, la plus visible est celle que l’on exerce sur autrui par la force, la menace. Mais en CNV, la violence n’est pas seulement un pistolet sur la tempe ou un coup de poing sur la figure, elle est présente toutes les fois où nous portons un jugement, une étiquette, où nous assouvissons nos besoins au détriment d’autrui, où nous utilisons l’humiliation, la culpabilisation, etc. Je peux exercer de la violence (inconsciente ou consciente) envers moi-même comme envers un∙e autre (humain ou autre qu’humain) !
La violence découle d’une séparation avec l’autre (je ne vois plus que nous sommes interdépendant∙es), de la frustration et de l’impuissance. Isabelle Filliozat le dit encore plus simplement : trop de « je ne peux pas » (= trop de situations où mes besoins ne sont pas nourris) et je deviens tenté∙e de faire un usage de la force pour contraindre autrui (car il devient urgent que je nourrisse mes besoins, help !, je ne vois plus comment faire autrement !).
La violence est une stratégie (tragique !) pour décharger la tension, une tentative pour compenser notre détresse ou éviter de sentir notre souffrance. Elle permet à court terme de se sentir puissant∙e, de restaurer l’estime de soi, de se sentir vivre (en cela qu’elle peut être exaltante, jouissive), d’être valorisé∙e dans certains groupes. Elle peut aussi servir à confirmer le rôle qui est attendu de moi (« mon parent dit que je suis mauvais∙e, mon parent doit avoir raison, alors je casse des choses, etc.»). Enfin, dans certains cas, comme le souligne I. Filliozat, elle permet aussi de s’approprier une violence dont on a été victime ou témoin pour mieux la dépasser.
Nous pouvons subir des violences de par nos engagements, nos appartenances sociales, raciales, ou de genre, etc. Ces violences politiques qui touchent tout un groupe social découlent de pratiques systémiques, politiques, culturelles, et sociales qui les ont légitimées et permises.
Pour moi, la violence prend le plus directement racine dans l’impuissance. Alors j’écrirai bientôt un article sur la puissance personnelle ! 🙂
Reconnaître, exprimer puis calmer la colère
Marshall B. Rosenberg, le créateur du processus de la Communication Nonviolente, lance cette phrase choc (j’ai été stupéfié en la lisant la première fois !) : « tuer des gens est un acte trop superficiel », cela n’exprime que de façon sommaire ce que nous ressentons quand nous sommes en colère.
Avec la CNV, nous sommes invité∙es à exprimer pleinement la colère. Les émotions sont, comme je l’indiquais au début, avant tout des énergies qui nous parcourent. Si la CNV peut nous convier à acquérir leur maitrise, il n’est jamais question de les contrôler ! Nous n’allons donc pas chercher à diriger, à canaliser, mais plutôt placer notre attention pour discerner ce qui remue en nous, puis aller dans son sens. Je ne mets rien sous le tapis en CNV.
Alors, comment faire pour exprimer (puis calmer) sa colère ?
J’essaye de m’éloigner du stimulus dans un premier temps. Si la colère se calme et s’apaise c’est que l’émotion est passée (je vérifie dans mon corps qu’il ne reste aucune tension), elle n’était empêtrée d’aucune croyance.
Si la colère est encore là, malgré la mise à distance, je vais essayer de l’exprimer pleinement et de la vivre entièrement. Je peux choisir de l’exprimer par le corps (faire un effort physique intense, crier dans un coussin, gribouiller) ou par la parole. C’est à ça que servent les dancefloors CNV! Je peux y faire « pisser mon chacal » c’est-à-dire laisser sortir tous les jugements et croyances qui me viennent à l’esprit. Quand je traverse une colère-coupée de l’émotion c’est-à-dire mêlée de pensées, je me raconte souvent qu’autrui est la cause de ma colère (« il∙elle n’aurait pas du ! »). Alors je donne à l’autre du pouvoir sur moi. Pouvoir qu’il∙elle n’a en réalité ja-mais ! Je suis responsable de mes émotions et de mes sentiments.
Si j’ai peur de ma colère, si je sens que je reste « dans la tête », je peux visualiser de nouveau le déclencheur, repartir des sensations dans le corps. Je peux aussi tenter de me dés-identifier : « Je ne suis pas en colère, il y a de la colère en moi aussi elle ne peut pas me dépasser, me submerger ». Plus mon rapport avec la colère est détaché, plus la colère se décolle de moi.
Au bout d’un moment, quand la colère a été suffisamment exprimée (corps calme, pensées apaisées) il me sera possible d’y voir plus clair. Je vais pouvoir « descendre en moi ». Je peux commencer à chercher : « je suis en colère car j’ai besoin de … ». Retour à la CNV ! 😉 Il est possible qu’alors j’approche un sentiment intense qui sera très rarement de la colère mais, on l’a vu au début, plutôt de la tristesse ou de la peur.
Si l’autre personne est en colère, que puis-je faire ? Si j’en ai l’élan et les moyens, et seulement à cette condition, je me rappelle que la colère retombe quand elle se confronte à la tranquillité. Je vérifie ma qualité de centrage, je peux sourire (sans ironie !) et respirer lentement. J’essaye de me mettre à l’écoute des besoins non-nourris qu’exprime l’autre personne.
Voilà pour aujourd’hui quant à la colère, la violence et une partie de la philosophie de la CNV. Au plaisir d’en discuter plus longuement avec vous, dans les commentaires ou en direct. 😉
Pour aller plus loin
Faure Jean-Philippe et Hemelsoet Muriel : http://www.voie-de-l-ecoute.com/documents-paratges.html, consulté en Août 2019
Filliozat Isabelle, Il n’y a pas de parent parfait, Marabout, 2012 (5ème édition), 316p.
Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, p179 -200, 2005 (édition 2015), 260p.
Wikipedia : Définition de la violence, https://fr.wikipedia.org/wiki/Violence, consulté en Août 2019