Ce texte a pour intention de présenter comment, en s’appuyant sur la Communication Nonviolente (CNV), il est possible de dire non, de façon ancrée, sincère et en prenant soin de la relation. Également, il s’attache à donner quelques pistes pour recevoir un non et ne pas le prendre comme un rejet, ne pas le prendre personnellement.
C’est un extrait du support que je distribue en fin d’atelier sur le « non ».
Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa
De la difficulté à dire non
En regardant le comportement des plus jeunes, je me suis aperçu que dès le plus jeune âge, iels n’hésitent pas à dire « non » lorsqu’iels ne veulent pas de quelque chose. Iels ne se justifient pas ; iels ne se sentent pas en faute.
La capacité d’une personne à dire non est d’abord conditionnée par les limites établies par son éducation et son expérience. Les personnes sociabilisées ou identifiées comme « femmes », de mon observation, sont socialement moins encouragées à poser leurs limites.
Il est aussi possible d’éprouver de la difficulté à opposer un refus à une demande parce que nous avons peur de peiner l’autre, de blesser, de décevoir, de déclencher un conflit ou des explications à rallonge, nous nous demandons ce que l’autre peut en penser. Peut-être que dans l’éducation occidentale, il y a confusion entre personne et demande : je crois que si je dis non à une demande, la personne va croire que je ne l’aime plus ! A l’inverse, la peur de perdre l’amour de l’autre (ou de ce qu’il∙elle∙iel représente inconsciemment) peut être aussi un obstacle à surmonter.
Dire non, c’est donc se confronter à ses peurs. Quand on est transi∙e de peurs à l’idée de dire ce que l’on pense ou l’on ressent, Marshall appelle cela se transformer en « une gentille personne morte, souriante et polie, mais morte à l’intérieur ».
Également, quand je dis « oui » alors que je pense « non », j’ai pu noter que soit je fais les choses avec moins d’entrain, soit en râlant/traînant des pieds, soit finalement je ne les fais pas. Mon énergie est beaucoup moins au service de la vie, elle me « coûte » plus !
Or, la CNV invite à l’expression authentique, à prendre soin de nos besoins tout en essayant de prendre en compte ceux des autres. L’expression authentique de soi consiste à mettre des mots sur ce qui se passe à l’intérieur de nous et « il n’y a pas de OUI authentique sans la possibilité de dire NON ».
Premiers pas : clarification
Exemple : Mon pote Robert me propose d’aller boire un verre demain soir.
(1) Je prends d’abord le temps pour me reposer la question de mon intention : est-ce que la relation est précieuse pour moi ? Ai-je envie de trouver un terrain commun qui puisse nourrir au mieux les besoins de toutes les parties en présence ?
Si oui, je passe au (2). Si non, pas besoin de faire de la CNV ! Je peux dire non tout simplement (voir plus bas).
Exemple : Oui ! J’aime bien mon pote Robert !
(2) Je prends le temps de voir comment je me sens face à la proposition : est-ce que j’ai un super élan pour y répondre (dire « oui ») ou est-ce que je me sens partagé∙e (je pense « peut-être » ou je pense « non » mais je n’ose pas) ?
Exemple : Ben là j’aimerais bien… mais chuis tellement naze ! Mais bon, c’est mon copain Bébert, je ne peux pas lui dire non ? si ?! [Je me sens partagé∙e et fatigué∙e]
(3) Ensuite, je peux me demander quels sont mes besoins en présence : ceux qui seraient nourris (ou pas) par mon oui, ceux qui seraient nourris (ou pas) par mon non ? Également, je peux réfléchir à quels besoins sous-tendent la demande de l’autre personne.
Comme le Yin et le Yang, le “non” n’est pas dissociable du “oui”, il s’agit d’une autre facette d’une même chose. Dire “non” à quelque chose, c’est dire “oui” à une autre, surtout en termes de besoin. Exemple : Si je dis oui pour aller boire un verre demain, je dis non à mon besoin de repos (et vice versa !).
(4) La CNV me permet de distinguer besoins et solutions, alors je si je dis « non » à la demande, je ne dis pas « non » à la personne ! Issâ Padovani dit d’ailleurs « je dis non à ta demande mais oui à ton besoin ».
C’est la raison pour laquelle apprendre à dire « non » relève bel et bien de l’affirmation de soi et non pas de la négation de l’autre.
J’insiste : je dis « non » à ta demande, mais je dis « oui » à toi, en tant que personne, je reconnais donc que tu as des besoins. Ça change tout !
Développer de la clarté sur mes besoins (voire, ceux de l’autre) me permet de recourir à une recherche de solutions communes beaucoup plus créatives ! Ça peut être par un autre moyen, ça peut être avec d’autres personnes, à un autre moment, sous d’autres conditions. Le champ des possibles s’ouvre.
Exemple : Alors je vais dire « non » pour aller boire un verre demain (pour nourrir mon besoin de repos), mais comme je serai content de voir Roro (besoin de connexion chez moi et de partage ou détente chez lui), je peux lui proposer par exemple de se faire une pizza maison vendredi. OK. Bon, comment le lui dire sans qu’il se vexe ?
« Le sandwich relationnel »
Issâ Padovani propose d’utiliser le « sandwich relationnel » (je ne sais pas s’il y a un copyright ©, c’est vraiment son expression à lui en tout cas), qui permet de dire non plus facilement, de voir ce qui est vivant en nous mais aussi de rester en lien avec ce qui se passe chez l’autre. Il y a 3 couches dans ce casse-croute.
La couche du Pain du dessus (P1) : (si cela est vrai et sincère !) évoquer l’importance de la relation pour vous OU accueillir et nommer le besoin chez l’autre (en parlant au « je ») OU exprimer votre gratitude qu’il ou∙elle ait fait cette demande.
Couche « Cœur de sandwich » (CdS) : Dire non en précisant le(s) besoin(s) auquel(s) je dis oui. Recommandation : utiliser « et en même temps » entre la couche 1 et 2, en effet en CNV il n’y a pas d’opposition entre ces différentes composantes mais bien une cohabitation.
Couche de Pain du dessous (P2) : Reparler de la relation OU faire une demande de connexion.
Enfin, il est toujours possible, après cela de chercher ensemble une solution créative qui pourra répondre aux différents besoins en jeu.
Exemple : Sandwich « Importance de la relation/Non car mon besoin/Importance de la relation » -> Tu sais Robert, comme notre relation me tient à cœur (P1). Et en même temps là je suis super claqué∙e, j’ai vraiment besoin de repos (CdS). Je ne vais pas sortir demain. Ça n’enlève rien à combien j’apprécie passer du temps avec toi (P2). Est-ce que tu veux venir vendredi à la maison manger une pizz’ ? (Solution Créative)
Exemple 2 : Sandwich « Le Besoin chez lui/Non car mon besoin/Demande de connexion »-> Quand tu me proposes d’aller boire un verre, j’ai l’impression que tu as envie de partager un bon moment [besoin de partage, de joie], est-ce que c’est ça ? (P1) Et en même temps, je suis trop KO pour sortir moi, j’ai besoin de me reposer (CdS… elle ne change pas trop celle-ci ! ^^). Comment c’est pour toi quand je te dis ça ? (P2) Est-ce que tu veux… (solution créative) ?
Du « rejet », recevoir un non
Pour rappel, Marshall disait « nous ne pouvons jamais forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit » (enfin… si l’on cherche à rester dans l’intention de la CNV ! ^-^). Alors si suite à ma « demande », je ne peux pas entendre un « non », c’est que j’ai formulé une exigence. Lorsque je formule une telle requête, je suis focalisé∙e sur le résultat que je veux obtenir, je ne suis plus dans l’intention de la CNV qui cherche à ce que toutes les personnes concernées aient le plus de chance de voir leurs besoins nourris.
Si je peux accueillir le « non », alors il est possible de répondre gracieusement « Merci de t’écouter », ou « Merci de prendre soin de toi ». C’est reconnaître que le non n’est pas un rejet de soi, une minimisation de notre valeur, mais que les personnes sont en train d’honorer leurs propres limites et désirs.
Également, rappelez-vous que recevoir un non permet d’être redirigé∙e vers une solution plus créative, donc une interaction mutuellement (plus) désirée. « Il n’y a pas de rejet, seulement des redirections ! ».
Pour dédramatiser le fait de recevoir un « non », voici un exemple : Vous êtes en train de jouer au piano. Vous invitez un∙e ami∙e à jouer à 4 mains avec vous. La personne dit non. Cela n’enlève rien à votre valeur personnelle ni ne dit rien sur votre façon de jouer de cet instrument. La personne préfère peut-être le violon, ou ce n’est pas son moment, ou peut-être vous jouez vraiment mal mais elle vous aime bien quand même. ^^
L’usage de la force : Non c’est non.
Contrairement à la philosophie de Gandhi ou de M. L. King, la Communication Nonviolente nous propose lorsqu’une Vie ou des droits sont en danger de recourir à l’emploi protecteur de la force (plus d’infos ici). L’intention est alors d’éviter les dommages corporels ou les injustices, jamais d’amener des individus à souffrir, à se repentir ou à changer.
Toutefois, attention !, il n’est pas question de se mettre à « faire » de la CNV dans une situation qui ne laisse aucune place à la communication, typiquement en cas de geste non consenti, de parole déplacée, de danger immédiat, etc.
La CNV est là pour être au service de la relation, pour prendre soin de l’autre et de vous. Quand il s’agit de prendre soin de vous uniquement, ne commencez pas à sortir un beau sandwich relationnel ! Dans ce cas, comme le rappellent les cercles d’autodéfense féministes ou les groupes qui pratiquent le consentement : non est une phrase qui se suffit à elle-même. Il n’y a besoin d’aucune justification.
Exemples : C’est non.
Non, c’est non.
Peux-tu enlever ta main ? Je n’ai pas consenti à ce que tu la poses là + la retirer.
Ci dessous le PDF qui reprend ce texte en version imprimable (cahier) : Memo_Dire-non_cahier.pdf