Je ne fais rien, j’écoute… (et c’est énorme !)

Ce texte a pour intention de donner des pistes pour ne plus se précipiter pour aider une personne qui n’en fait pas clairement la demande, pour plutôt écouter -grâce à la CNV- avec ce que la personne essaye de partager, rester avec l’autre, sans agir afin d’entrer en lien pleinement et complètement. Premiers pas vers l’empathie…
C’est un extrait du support que je distribue en fin d’atelier sur l’écoute.

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa

Aider, c’est bien non ?

Par « aider » j’entends faire ou dire quelque chose. J’ai observé et d’autres avant moi que les humains sont des êtres de contribution ! Nous avons un grand plaisir à venir en aide à notre prochain∙e. Il est possible que nombre de ces élans soient spontanés et gratuits, venant du cœur. C’est une attitude qui peut être gratifiante et plutôt valorisée socialement dans la société occidentale (judéo-chrétienne) dans laquelle je vis.

Exemple : « La personne était très chargée pour monter les marches, je l’ai aidée spontanément. Elle était contente. Je ne vois pas en quoi c’est mal ? »

La CNV se place au-delà du bien et du mal avec l’intention d’être au service de la relation afin que toutes les personnes concernées puissent voir leurs besoins nourris, et ce, avec la stratégie la plus adaptée possible.           
Dans l’exemple, j’imagine que la personne chargée a pu montrer lors d’un échange de regards peut-être qu’elle était ok pour recevoir ce coup de main car elle avait besoin de soutien et de coopération. L’aide était pertinente.Prenons-nous vraiment le temps dans d’autres situations de vérifier que nous sommes en train d’apporter la réponse la plus appropriée ? D’ailleurs, est-ce que l’autre personne est vraiment en train de me demander de l’aide ?               
Pour moi, l’aide devient « non sollicitée », dès lors que je fais ou dis quelque chose en croyant « bien » faire, en voulant contribuer mais sans avoir pris le temps de me connecter aux besoins profonds de toutes les parties en présence (ceux des autres ET les miens).

(Licence CC0 Public Domain)
De l’aide librement consentie

L’aide non sollicitée

Le triangle de Karpman est un concept représentant les relations entre trois rôles que l’on peut endosser : le Persécuteur∙la Persécutrice | le Sauveur∙la Sauveuse | la Victime.        
Nous ne sommes pas « une victime », « un∙e sauveur∙euse », en soi, non. Parfois nous pouvons prendre temporairement une de ces postures. Egalement, nous pouvons changer de rôles : même si nous pouvons avoir des préférences de « jeu », ces rôles sont interchangeables, parfois plusieurs fois dans une même journée.

(Licence CC0 Public Domain)

D’après Karpman, quand j’endosse le rôle de la Victime, ma position est « Pauvre de moi ! ». Je me sens impuissante, sans espoir et je ne prends pas de décisions.             
>Dans ce rôle, je n’arrive pas à contacter/formuler mes besoins, je ne sais pas moi-même ce qui serait le plus juste pour retrouver de la puissance.         
>Ne pouvant faire une demande, quelque part, c’est comme si je choisissais de laisser d’autres s’en occuper à ma place (le sauveur∙la sauveuse).  
>Je suis dans le paradigme des « je dois, il faut… », je crois que je n’ai aucun choix.     
Pour moins endosser ce rôle, il m’est possible d’aller explorer le paradigme où « je choisis » et de m’appuyer sur l’O, S, B, D [à ce sujet, voir le livre de Rosenberg (voir Ressources) ou le texte que j’ai fait sur les « je dois, il faut » ] pour découvrir mes besoins et commencer à formuler une demande claire (voir ici).

Quand j’endosse le rôle du persécuteur∙de la persécutrice, je martèle (vers l’extérieur ou vers l’intérieur) : « tout est de ta faute. » Je vais contrôler, brimer, humilier, critiquer, donner des ordres, être rigide.   
>Je n’écoute alors que mes besoins sans prendre en compte ceux des autres.              
>Mes ‘demandes’ sont en fait des exigences ou des ordres.   
>Je ne cherche pas à aider, plutôt à montrer que les autres ont tort (et moi, j’ai raison, héhé !).           
Pour endosser le moins souvent possible ce rôle, il m’est possible de m’appuyer sur l’O,S,B,D pour transformer mes exigences et jugements.

Enfin, quand j’endosse le rôle de sauveur∙sauveuse, mon fil est « Laissez-moi vous aider » et je me sens vraiment mal si je ne vole pas à la rescousse de l’autre.   
>Si ce rôle semble être le plus gratifiant, il place autrui en incapacité ou en dépendance.          
>Mon attention est alors tournée vers l’extérieur plutôt que vers mes besoins propres, afin de ne pas avoir à ressentir l’inconfort de mes besoins non nourris.              
Pour endosser le moins souvent possible ce rôle, il m’est possible de me demander pourquoi l’autre me partage ça ; de me poser la question de mon intention et d’essayer de ne plus agir sans une demande claire et explicite de la part d’autrui (voir ici).

Cette représentation bien que catégorisante me parle car elle met en exergue que l’échange est « coupé de la Vie » ! Dans le triangle, dès lors qu’une des personnes qui a temporairement endossé un rôle acquiert la conscience de ses besoins profonds, ça l’amène à quitter son rôle. Comme à chaque fois avec la CNV, découvrir, voire simplement se connecter à son besoin peut permettre de transformer l’existant.         

L’écoute empathique

Typiquement, dès lors qu’une personne répète plus d’une fois une même histoire qui lui a créé de l’émotion, c’est qu’elle ne se sent pas comprise. Marshall disait : « Le chacal se répète tant qu’il n’est pas entendu ! » Un besoin est non nourri et cherche à être reconnu.

Quand quelqu’un∙e choisit de partager avec moi ce qu’il vit, la plupart du temps, il me demande juste de l’écouter. Nous avons tendance à foncer vers l’action et le faire alors qu’il est plutôt question d’écouter l’autre en tachant d’être totalement présent∙e à ce qu’il∙elle∙iel vit sans rien amener de « soi ». Ainsi, l’autre personne pourra pleinement explorer ce qui se passe à l’intérieur d’elle et trouver le chemin le plus ajusté pour elle.

(Licence CC0 Public Domain)

« Si l’humain a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle », disait Confucius.

L’acronyme J.A.R.D.I.N.E.R. nous rappelle quels types de répliques diminuent nos chances que l’autre se sente rejoint∙e :               

– Jugement, évaluation, étiquettes : « Tu es bien [adjectif] de… », « Les gens qui font ça sont », « C’est mal/bien de»

– Avis, conseil, trouver une solution : « Tu devrais… », « Je trouve que tu… », « Pourquoi n’essaies-tu pas de… ».        
Rosenberg dit « ne donnez jamais de conseil à quelqu’un∙e, sans avoir auparavant reçu une autorisation signée par trois de ses avocat∙es »…

Une façon de se rappeler qu’un conseil a trèèès peu de chance d’être au service du besoin exprimé par notre interlocuteur∙interlocutrice. Je crois que si j’ai encore une et une seule habitude à perdre (/à déconditionner), c’est bien celle-ci. Essayons d’attendre jusqu’au moment où l’autre personne nous renvoie clairement un « Tu en penses quoi toi ? Tu ferais quoi à ma place ? » avant de conseiller qui que ce soit sur quoi que ce soit.

– Reproche : « Tu n’aurais pas dû… », « A ta place je n’aurais jamais fait ça… »

– Dramatiser ou dé-dramatiser : « C’est vraiment terrible ce qui t’arrive… c’est une horreur… »/ « C’est pas si grave, tu sais…» 

– Interprétation, Impression, Croyance : « Il semble que cette personne fait miroir à ton comportement personnel », « J’ai l’impression que tu le prends pour ton père », « Je pense que tu… »
–  Investigation : « Pourquoi … ?» « Qu’est-ce qui fait que tu… ? »

– Narration, histoire personnelle, anecdote : « C’est comme moi, ça m’arrive tout le temps ce que tu racontes ! », « Ça me rappelle la fois où j’ai… »

– Empathie à un tiers : càd lorsque je me mets en empathie avec la personne qui est le stimulus pour la personne qui traverse la situation « tu sais, je comprends bien pourquoi il fait ça, on dirait qu’il se sent triste parce qu’il a besoin … »               
– Rassurer, consoler : « Ça va aller tu sais… », « Tiens bons, c’est une étape… », « Je t’envoie plein de bonnes ondes… »

Au lieu de J.A.R.D.I.N.E.R, mettons-nous à l’écoute des besoins qui sont cachés derrière les mots et observons la différence dans la qualité de relation qui se crée ! (J’ai trouvé cet proposition d’acronyme sur le site www.blog-cnv.com/blog/jardiner que je reproduis in extenso).

Vers l’empathie

Ecouter sans commenter ne suffit bien évidemment pas, mais c’est un premier pas vers l’écoute en présence, vers l’empathie. L’empathie en CNV c’est « prendre la mesure de l’intensité de ce que l’autre est en train de vivre » (que ce soit de la joie, de la tristesse, etc.). Il ne s’agit pas d’être en résonnance et d’être triste quand l’autre est triste par exemple. Il n’est pas non plus question d’être d’accord mais de percevoir l’intensité de ce que l’autre personne traverse.

J’ai cru comprendre qu’être en empathie profonde nécessite du temps, de l’entraînement et du travail sur soi, je pourrais peut-être revenir plus longuement sur l’empathie dans un autre mémo.

Quand je cherche à écouter en présence, la première étape est toujours : quelle est mon intention ?             
Est-ce que je cherche à aider l’autre pour qu’il∙elle∙iel trouve rapidement une solution ? Est-ce que je lui en veux ? Est-ce que je pense avoir des conseils à lui donner ? Est-ce que je suis moi-même touché∙e par la situation, ému∙e ? (dans ce cas, j’ai d’abord besoin de temps pour moi, d’auto-empathie !) Ou suis-je disponible et je ne souhaite qu’offrir ma présence pour que l’autre, s’iel est consentant∙e, s’y dépose ?

Quand l’autre personne a fini de parler, qu’elle a été entendue, il est alors possible de lui demander : comment puis-je contribuer ? Est-ce que tu aurais une demande à me faire ?

Des demandes claires

Formuler des demandes claires et en lien avec nos besoins profonds nécessite aussi un entraînement complet. Je reviens plus longuement sur ce sujet dans un autre mémo.

Pour rappel, une demande en CNV est de demander quelque chose à une personne sans la manipuler ni la contraindre ni la culpabiliser. Elle a les caractéristiques suivantes : elle est réalisable, concrète, précise, et formulée positivement si possible dans l’instant présent, adressée à une ou des personnes en particulier (moi inclus∙e).

(Licence CC0 Public Domain)

« Qu’est-ce qui pourrait me rendre la vie plus belle, là, maintenant ? » Cela peut-être une parole, une action.                

C’est le moment aussi de se reposer la question de l’intention : pour quelle raison aimerais-je que l’autre fasse/dise ce que je lui demande ? Suis-je toujours en train de privilégier la relation ou bien le résultat ?              
Ce ne sont pas les mots qui différencient la demande de l’exigence mais la manière dont je réagirai face au refus. Si c’est une demande, je pourrai entendre que l‘autre y réponde « non » parce que je postule que l’autre a aussi des besoins, alors je pourrai me donner de l’empathie ou nous pourrions chercher une autre solution créative, ajustée pour tous∙tes les deux !
Pour plus d’infos sur les demandes en CNV, voir mon article ici.

Auto-empathie et douceur 

Rappelez-vous que c’est ok que la CNV ne vienne pas tout de suite, notamment à « chaud » même si ça a l’air simple. Je cite ce passage de Padovani : « Ce processus est tout simple. Allumer du feu est simple mais ce n’est pas facile. C’est simple car ce n’est pas compliqué, mais ce n’est pas facile car cela demande un certain savoir faire et une certaine compréhension de ce dont il s’agit. » Alors n’oubliez pas de vous donner de l’empathie à vous-même, d’avoir de la douceur si jamais votre chacal intérieur prend la place et demande de l’attention !

Pour conclure, enfin, Rosenberg insiste : « La langue girafe n’est pas une langue, elle n’est pas une affaire de mots ; c’est une attitude qui nous permet de rejoindre un flot d’énergie à partir duquel il est possible de donner du plus profond de son cœur. » Pour moi, le plus important n’est pas le langage utilisé mais bien plutôt le changement de conscience qui précède le choix des mots.       


Ci dessous le PDF qui reprend ce texte en version imprimable (cahier) : Memo_Jecoute-seulement_cahier.pdf