Ce texte a pour intention de donner des pistes pour apprendre à s’accueillir quand j’ai été moins que parfait∙e. Avec la CNV, nous verrons comment traduire la voix éducatrice de la culpabilité pour entendre ses besoins non-nourris, essayer de faire leur deuil, et ainsi reprendre notre pleine responsabilité et nos capacités de mise en mouvement. Ce mémo présente également quelques pistes pour faire « réparation » sans honte, sans peur, ni haine de soi.
C’est un extrait du support que je distribue en fin d’atelier sur la culpabilité.
Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa
Déclaré∙e coupable !
Selon Larousse, la culpabilité est un « sentiment de faute ressenti par un sujet, que celle-ci soit réelle ou imaginaire ». La perception peut aller grandissant dans le temps, pesant sur sa conscience, elle nous ronge, nous tourmente. La personne est alors persuadée, selon ses propres perceptions et croyances morales, d’avoir mal agi. La culpabilité peut nous assaillir même pour des actes imaginés, que nous ne commettrons jamais (tuer nos parents ou les collègues de travail ^^).
La culpabilité nous signale que nous avons transgressé nos valeurs. Elle est en lien avec notre rapport à la Loi, c’est-à-dire pas forcément avec la loi administrative ou pénale, la justice étatique mais avec notre vision très personnelle du Grand Livre des Règles du Bien et Mal pour vivre en Société (ce livre d’ailleurs n’est imprimé nulle part, mais existe sous des versions trèèèèès différentes dans chacune de nos têtes).
La honte, selon Larousse encore, est quant à elle un vécu « d’abaissement, d’humiliation qui résulte d’une atteinte à l’honneur, à la dignité », la peur « d’avoir commis une action indigne de soi, ou [la] crainte d’avoir à subir le jugement défavorable d’autrui ». Enfin, elle peut être liée à de la gêne, de la timidité, à la crainte du ridicule, à la peur de l’exclusion sociale. Je me dis que je suis indigne, inférieur∙e aux autres. La honte peut nous donner envie de fuir, de nous cacher.
Les deux expériences émotionnelles peuvent être désagréables et peuvent générer des tensions, de l’anxiété et de l’agitation.
Au service de la Vie ?
Le souvenir des tourments qui accompagnent la culpabilité peut nous inciter à être plus empathique, à mieux traiter les autres (humain∙es ou autres qu’humain∙es), à ne pas nuire à autrui juste pour « le fun ». Également, la culpabilité peut être un indicateur précieux sur les valeurs qui sont importantes pour moi.
Et en même temps, parfois la culpabilité nous signale que nous jugeons sévèrement ce que nous avons fait. Ce jugement intérieur peut me paralyser (je n’ose plus rien faire) ou je ne regarde plus que vers le passé, vers ce moment qui n’était pas complètement satisfaisant. « Je m’en veux, car je ne suis pas aussi bien que je le devrais, oh non, je ne corresponds vraiment pas à la vision idéale que j’ai de moi. »
Plus l’écart entre ce que je souhaiterais être et la réalité est grand plus je me flagelle de ne pas être à la hauteur, plus je vais avoir honte et perdre en estime de moi. Je suis dans la non-acceptation de moi voire la haine de moi.
Est-ce que je me réprimande car je crois que je mérite de souffrir des conséquences de mes actes ? Est-ce que j’ai assez enduré pour pouvoir être pardonné∙e ? Est-ce que je veux faire autrement la prochaine fois parce que j’ai envie de contribuer à une vie belle pour tous∙tes ou parce que j’ai tellement honte, parce que je suis mortifié ? Rosenberg disait « chaque fois que vous agissez par peur ou par culpabilité, vous faites baisser votre estime de vous-même. »
En CNV ?
Vous l’aurez peut-être deviné à présent : en CNV, la culpabilité n’est pas considérée comme une émotion. Elle est vue plutôt comme un sentiment mêlé de jugements. Si je suis en train de me juger moi-même comme ayant tort ou étant une mauvaise personne, c’est que je ne suis pas en harmonie avec mes besoins ! Rosenberg dit que « si nous apprenons à nous évaluer sous l’angle de la satisfaction de nos besoins, nous aurons beaucoup plus de chance de tirer profit de cette évaluation ». On peut se représenter la culpabilité comme un conflit intérieur entre deux parts. Une part qui a agi (ou a l’intention d’agir) et une autre qui jugerait, la déclarerait coupable et la punirait. Il ya eu donc au moins deux besoins en jeu : un qui a été satisfait par notre comportement au temps t, un autre (« être en accord avec ses valeurs » par exemple) qui est resté non nourri. Le tiraillement peut déboucher sur un sentiment (très) désagréable à vivre (comme la tristesse, désespoir, crainte).
Comme il m’est impossible de changer le passé, la CNV encourage à faire le deuil de ne pas avoir pu satisfaire ce deuxième besoin. Ce deuil, au temps t+1, passe par un temps de reconnexion à soi et à nos émotions douloureuses.
Il n’y a plus d’ « erreur » ou de « faute » mais des moments où nous n’avons pas contribué à nos besoins ou à ceux des autres comme nous le souhaiterions.
Sortir de la culpabilité ?!
La sortie de la culpabilité en CNV passe par notre prise de responsabilité face à nos actes. La responsabilité me permet de redevenir acteur∙actrice de la situation ; de retrouver de la puissance intérieure ; d’éventuellement faire ou dire autrement la prochaine fois ; donc de renouer avec une énergie au service de la Vie.
En CNV, je suis responsable de ma vie, de mes actes, de mes paroles, ainsi que de mes pensées ! J’aurais toujours des pensées et des jugements, libre à moi de les partager ou pas, ou des traduire en observation par exemple. J’ai le choix. « L’excuse est pauvre ! C’est facile de dire qu’on est désolé, mais qu’est-ce que ça signifie ? Les gens ont appris depuis qu’iels ont été enfant, qu’on dit ça juste pour être pardonné∙es» avançait Rosenberg.
Passer de l’une à l’autre… mh, en pratique, comment faire ?
- Revenir aux faits
Je ne peux pas revenir en arrière. Je n’obtiendrai pas davantage de contrôle (de pouvoir) puisque la situation est passée. Je regarde de nouveau la scène comme si j’observais de l’extérieur. Que s’est-il vraiment passé ? Quels sont les faits ? {Observation}
Expl : je suis arrivée chez tante Simone et en franchissant la porte, j’ai trébuché, le gâteau pour son anniversaire est tombé de mes mains, je me suis raccroché∙e au chambranle.
- Trouver les sentiments qui sont encore présents là maintenant et les besoins non nourris.
Qu’est-ce qui m’anime dans l’instant présent : comment je me sens ?
D’une part : quel(s) besoin(s) ai-je nourri(s) pendant l’action ? De l’autre, quel(s) besoin(s) n’ont pas été nourri(s) ? Si j’ai du mal à me connecter aux besoins non nourris, je peux essayer de faire parler la « petite voix » qui me juge, qui résonne en moi. Je lui prête attention et je lui demande ce qu’elle aurait aimé qui se passe, comment elle aurait vu les choses. Je peux pour la représenter sortir deux chaises ou deux coussins et passer d’une assise à l’autre. Je reste sur la première chaise quand je raconte les faits, je passe à la seconde dès que je sens que s’élève la voix de la culpabilité. J’essaye d’écouter cette part intérieure jusqu’à ce que je comprenne ses besoins non nourris pendant l’instant passé.
Expl : Je me sens super en colère contre moi ! En me retenant à la porte, j’ai répondu à mon besoin de prendre soin de moi, ou de sécurité (je ne me suis pas cassé la binette !) ; en revanche mon besoin d’esthétique (le gâteau en miettes !) et de contribution (j’aurais aimé célébrer au mieux son anniversaire…) n’ont pas été nourris.
- Prendre le temps…
Je prends alors le temps de me connecter à toutes les sensations, émotions qui peuvent survenir. Je les goûte pour ce qu’elles sont. Elles peuvent être intenses et/ou désagréables… - Faire son deuil exige d’aller au plus profond de soi.
Au bout d’un moment, je peux me reconnecter à la beauté de mon aspiration, et prendre sa mesure. Cela peut permettre de sortir d’une énergie « plombante » et de re-sentir une énergie beaucoup plus joyeuse, pétillante.
Expl : Hum, sous ma colère, je sens une grande tristesse… et si je suis si triste c’est que je voulais contribuer autant !
-> Après avoir laissé son entière place à la tristesse, je peux choisir de placer mon attention sur mon aspiration : contribuer. N’est pas incroyablement beau d’avoir voulu « autant » contribuer ?
- Mettre en place une demande (d’action ou de connexion) – Voir ce texte.
Une fois le deuil effectué, je continue de prendre mes responsabilités. Je peux alors peut-être chercher de nouvelles façons de faire, dire, être dans l’ici et le maintenant… C’est le moment de la demande. En CNV, il en existe plusieurs types : les demandes d’actions (à soi-même, à l’autre ou à d’autres personnes – pas forcément concernées par la situation) ; les demandes de connexion qui me permettent de dire comment je me sens, de demander à l’autre personne ce qu’elle a entendu et/ou comment elle se sent. Pour rappel, les demandes en CNV se font en langage clair, positif, précis et ouvert au dialogue, au présent.
Mais d’abord, je vérifie : suis-je encore motivé∙e par de la honte, de la culpabilité, de la haine de moi ? Suis-je encore désolé∙e ? Si oui, je retourne un peu en arrière (retour en petit c )! Si je me dis sincèrement que j’ai fait du mieux que je pouvais, que puis-je faire ou dire en ayant sincèrement l’élan de contribuer au mieux aux besoins de toutes les personnes concernées ?
Plus jamais désolé∙e
La demande a ce moment sert à rétablir l’équilibre, à faire réparation. C’est pour moi tout la puissance de la justice réparatrice ( /restaurative). Les personnes ayant subi et ayant commis le préjudice choisissent de participer activement, en général après une formation, à la résolution des difficultés résultant de l’infraction ou du crime. Cette justice permet de sortir de la logique de punition et de prison !
Pour revenir à Tante Simone, je peux exprimer à l’autre personne le(s) besoin(s) que j’ai satisfait(s) au moment t pour les célébrer et faire le deuil de celui (ceux) que je n’ai pas nourri(s) {S,B de l’OSBD}.Je peux continuer par une demande d’action, ou une demande de connexion, voire même demander à l’autre personne ce qu’elle souhaiterait.
Expl : Tu sais tata, je suis content∙e de n’avoir pas perdu l’équilibre le jour de ta fête, et en même temps, je me sens super triste car j’aurais aimé contribuer à notre relation et que tu passes un bel anniversaire avec un beau gâteau. Est-ce que tu voudrais que je t’apporte un autre gâteau samedi prochain ? {connexion et proposition d’action}
Ou (avec le même début). Est-ce tu serais OK pour me dire comment tu t’es sentie quand tu as vu le gâteau splotché par terre et qu’une fois servi, il était tout en miettes ? {connexion et proposition de connexion}
Auto-empathie et douceur
Rappelez-vous que c’est ok que la CNV ne vienne pas tout de suite, notamment à « chaud » même si ça a l’air simple. Je cite ce passage de Padovani, formateur certifié en CNV : « Ce processus est tout simple. Allumer du feu est simple mais ce n’est pas facile. C’est simple car ce n’est pas compliqué, mais ce n’est pas facile car cela demande un certain savoir faire et une certaine compréhension de ce dont il s’agit. » Alors n’oubliez pas de vous donner de l’empathie à vous-même, d’avoir de la douceur si jamais votre chacal intérieur prend la place et demande de l’attention !
Pour conclure, enfin, Rosenberg insiste : « La langue girafe n’est pas une langue, elle n’est pas une affaire de mots ; c’est une attitude qui nous permet de rejoindre un flot d’énergie à partir duquel il est possible de donner du plus profond de son cœur. » Pour moi, le plus important n’est pas le langage utilisé mais bien plutôt le changement de conscience qui précède le choix des mots.
Ci dessous le PDF qui reprend ce texte en version imprimable (cahier) : Memo_Culpabilite_cahier.pdf