Désobéissance civile et changer le monde (3/3)

Quel changement je veux voir dans le monde? Quel changement je peux créer dans le monde?

[Suite et fin des textes Désobéissance civile et Non violences (1/3) et Désobéissance civile et CNV (2/3)]

Dans les deux textes précédents, j’évoquais la désobéissance civile de Gandhi et les Actions Directes Non Violentes ainsi que les usages possibles de la force dans la philosophie de la CNV. Je me suis demandé quelles étaient les divergences entre ces différents courants non violents qui se veulent au service d’un changement dans le monde.
Dans ce dernier texte je reviens sur le changement que je pourrais déployer dans le monde & qui serait en accord avec une posture CNV.
Quel changement je veux voir dans le monde? Quel changement je peux créer dans le monde?

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa

Je veux que l’autre change

Joanna Macy, citée par P. Servigne, considère qu’il y a trois dimensions à ce qu’elle appelle le Changement de Cap. Les actions, les luttes qui cherchent à ralentir les dégâts en cours (activisme) ; l’analyse, la compréhension de la situation actuelle ainsi que le déploiement d’alternatives concrètes (changement par le faire); enfin le changement intérieur de conscience. Elle précise qu’aucune voie n’est plus importante ou « meilleure » qu’une autre : les trois simultanément sont nécessaires.

J’aimerai repréciser que Marshall Rosenberg a passé une bonne partie de sa vie à déployer le processus de la CNV afin que le plus grand nombre de personnes participe au changement social global en comprenant d’abord comment se libérer de ce qui n’est pas en harmonie avec le genre de monde que nous souhaitons créer et en déployant ensuite un état d’esprit qui nous incite à l’action. 

Êtes-vous d’accord que nous avons recours à l’utilisation de la force (protectrice ou répressive), car nous souhaitons qu’un changement ait lieu par rapport à la situation initiale ? Transformation rapide si danger immédiat, rectification si nous souhaitons que l’autre personne prenne la mesure de ses actes et change.

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Il y a des changements qui arrivent tous seuls et d’autres que l’on souhaiterait choisir ou accélérer.

Pour différencier ces 2 types d’usages de la force, Rosenberg indique qu’il est possible de se poser les deux questions suivantes :
1/ « En quoi voudrais-je que cette personne change de comportement ? »     
Personnellement, c’est une question que je me pose souvent et j’ai souvent une facilité déconcertante pour y répondre. Par exemple avec l’Enfant que j’accompagne parfois à grandir, quand je lui rappelle un soir sur deux l’importance selon moi du lavage de dents, j’aimerai ne plus avoir à lui rappeler. Je me dis : « Bah oui, j’aimerai qu’elle change de comportement : autogestion des chicots! »
2/ « Quelle motivation voudrais-je que cette personne ait pour faire ce que je lui demande ? ».
Il est vrai que je me pose rarement cette question.      
Est-ce que je veux que l’Enfant se lave les dents parce qu’elle en aura marre de m’entendre râler ? Ou parce qu’elle aura intériorisé telle quelle la règle sortie de ma tête « avant d’aller au lit « on » se lave les dents », sans la comprendre. La vie sera plus simple pour moi, mais pour elle ? Un apprentissage de la soumission et de la domination. Est-ce le reflet du monde que je désire voir ?       
Ou bien, j’aimerais qu’elle prenne conscience de sa propre responsabilité quant à avoir des dents les plus saines possibles, le plus longtemps possible ? Et qu’elle nourrisse à la fois ses besoins d’autonomie, de propreté et de soin (par exemple) ? Qu’elle choisisse en conscience ?

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L’usage répressif de la force ne pourra jamais permettre de développer une motivation qui soit interne et propre à la personne chez qui je veux voir quelque chose changer. Si je veux juste que l’autre change et point barre ma posture n’est pas Nonviolente dans le sens de Rosenberg.    

Me changer moi?

Se poser la question de la motivation avant de demander à l’autre personne de changer permet de repartir de soi et de se demander quels sont mes besoins (en général non nourris) de l’instant. Parce que la CNV nous le rappelle souvent, l’autre personne n’est que le déclencheur mais pas la cause.

Pour reprendre une citation d’Etty Hillesum, relevée par P. Servigne « je ne crois pas que nous puissions corriger quoique ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous ». Pınar Selek, citée par Guillaume Gamblin, le présente comme ceci : « On ne peut pas transformer un système quand on ne se transforme pas. Le système est en nous aussi, il existe par nous, nous le faisons vivre ! ».

Et plus le temps passe et plus je me dis cela : je veux vivre dans un monde plus frugal, plus convivial, sans domination (et j’en passe). Suis-je capable moi de ne pas exercer de domination (typiquement domination adulte quant au lavage de dents, mais aussi raciale, validiste, agiste, de genre, etc.) ? De travailler à réduire ma consommation de façon à ce que mes besoins soient nourris de façon ajustée (ne plus avoir besoin de manger une tablette de chocolat quand je me sens triste car j’ai besoin de réconfort)? Arrivé-je à être en lien avec par exemple mes voisin∙es ou des inconnu∙es que je croise, de cœur à cœur ?

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Pour reprendre la célèbre phrase de Gandhi : puis-je être le changement que je souhaite voir dans le monde ?
Et c’est en cela que la CNV est un formidable étai, un incroyable outil (le mot est réducteur je trouve), un support inépuisable (j’ai l’impression !) d’empuissantement, car chaque jour, je vois plus clair en moi et je me transforme dedans.  Pas à pas, je me métamorphose et mon jardin intérieur ressemble à ce que j’aimerais voir à l’extérieur : plus de joie, plus de couleurs, plus d’amour, de fragilité et d’interdépendance ! J’ai parfois l’impression de rester immobile assis dans le fond de mon canapé rouge mais au final, ça déménage à l’intérieur !
C’est une tache à ma mesure, qui me donne aussi de la puissance et qui me permet de me dire que chaque jour je fais ma part avec mes moyens.

Agir « par » l’environnement ?!

Je pense à Starhawk et à ce qu’elle nomme l’action directe libérée (empowered direct action). Son but ? « Faire sentir aux personnes qu’un monde meilleur est possible, qu’elle peuvent faire quelque chose pour le faire exister et qu’elle sont des compagnes ou des compagnons de valeur dans cette lutte. L’action directe libérée signifie donner puissance à la radicalité de notre imagination et revendiquer l’espace nécessaire pour faire exister nos visions ». Elle est magie, elle est l’art de changer les consciences ».

Quant à changer nos consciences, je terminerai par cette vision de Jean-Philippe Faure, formateur CNV, que je n’incarne pas du tout encore mais je ne peux résister à la partager car elle me décoiffe et me parle énormément !

Il considère que « si j’agis pour mon environnement je me place dans une position dualiste du pour et du contre, je perpétue des systèmes de croyances positives et je maintiens l’isolement de l’individu ». Il parle lui d’agir par mon environnement.            
Ainsi, les besoins des humains, des autres qu’humains et de la planète sont pris en compte (l’interdépendance, si chère à la CNV). Il distingue trois usages de la force : l’usage environnemental de la force (agir par), l’usage protecteur de la force (agir pour) et enfin l’usage punitif de la force (agir contre). Il appelle au respect organique plutôt qu’à l’obéissance ou à la désobéissance.

Et Jean-Philippe Faure va plus loin, il considère que nous sommes tellement « imbriqué∙es, intriqué∙es [… que] je suis mon environnement et mon environnement est moi-même ». Nous avons les mêmes besoins car nous sommes Un, traversé∙es par cette essence qui est la vie, qui nous fait vibrer à l’unisson.  Et ça, ça me parle beaucoup ! 🙂

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Pour aller plus loin

Faure Jean-Philippe et Hemelsoet Muriel : www.voie-de-l-ecoute.com/documents-paratges.html, consulté en Août 2019
Gamblin Guillaume, L’insolente, Dialogues avec Pınar Selek, Ed. Cambourakis en partenariat avec la revue S!lence, 2019, p187-188, 212p.
Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, 2005 (édition 2015), p201-211, 260p.
Servigne Pablo, Stevens Raphaël, Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible, Seuil, 2019, 323p.
Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, Magie et Politique, p145 pour la citation, Cambourakis, 2015.