Désobéissance civile et CNV (2/3)

Quels sont les usages possibles de la force en CNV?
L’Action Directe Non Violente est-elle compatible avec la pratique de la CNV ?

[Suite du texte Désobéissance civile et Non violences]

Dans le texte précédent, j’évoquais la désobéissance civile de Gandhi et les Actions Directes Non Violentes que j’ai connues. Nous avons vu qu’il y a diverses façon de faire de la désobéissance qui se revendiquent de postures (différentes elles aussi) non-violentes .
Dans ce second texte, je voulais évoquer les usages possibles de la force en CNV. A quels endroits se placent les Actions Directes Non Violentes que j’ai effectuées ? Dans le dernier texte je reviendrai sur le changement que je veux voir dans le monde, qui pourrait être en accord avec une posture CNV.

J’ai écrit ce deuxième texte avec la même intention que le texte précédent : Rappeler qu’il y a plusieurs courants se reconnaissants de la non violence. Clarifier, du mieux que je puisse, la différence, d’après chaque courant les différents usages possibles de la désobéissance (/de la force).
Quels sont les usages possibles de la force en CNV ? L’Action Directe Non Violente est-elle compatible avec la pratique de la CNV ?

Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa

L’usage protecteur de la force

Contrairement à la philosophie de Gandhi ou de M. L. King, la Communication Nonviolente nous propose lorsqu’une Vie ou des droits sont en danger de recourir à l’emploi protecteur de la force. Cela n’est possible que si nous ne portons aucun jugement sur la personne ou sur son comportement. Rosenberg pense que c’est essentiellement par inconscience que les individu∙es adoptent des comportements dangereux pour eux-mêmes/elles-mêmes et pour les autres et que ce n’est pas par nature que les gens sont violents. Cette vision est à la base de toute la philosophie de la CNV. C’est un postulat, vous pouvez ne pas être d’accord ;-). Cet axiome invite à un changement de paradigme total, à un bouleversement de notre regard sur le monde. J’aime croire que les humains ne sont fondamentalement pas violents car cette vision me permet de rester en lien, de me relier à des gens bien différents de moi !              

Ainsi, l’usage protecteur de la force est inévitable quand il n’y a plus d’échange ou qu’il n’y a plus le temps d’échanger (imminence du danger). L’intention est alors d’éviter les dommages corporels, les dommages matériels ou les injustices.                
L’exemple habituel est cet enfant qui traverse la route sans regarder, celui qui traversait déjà un peu n’importe comment dans mon texte sur la colère. Mais là, un gros camion lui fonce dessus ! Je ne vais pas me mettre à « faire de la CNV » : « mon très cher, j’observe qu’un camion de 22m3 avance vers toi à une vitesse supérieure à 50km/h et que tu ne l’as pas encore vu [observation], je me sens MEGA inquiet car j’ai besoin de sécurité [Sentiments, Besoins], pourrais-tu stp… [demande] ». Non, je me jette, je le remets sur le trottoir, j’ai fait un usage protecteur de la force.

(Licence CC0 Public Domain)
C’est un peu comme ça que je vois la situation… face à l’imminence du danger 😉

Après, je pourrais éventuellement, me mettre à l’écoute de mes sentiments (auto-empathie car GROSSE peur) pour pouvoir lui expliquer mon geste de façon neutre (sans le gronder car j’ai été inquiet, sans le sermonner) et enfin lui demander comment il ou elle se sent (demande de connexion).

L’usage répressif de la force

Cela est très différent de l’usage répressif de la force (punition, reproches, menace, etc.), qui lui n’est pas non violent d’après la philosophie de la CNV.  A ce moment, nous considérons que l’autre a fait quelque chose de « mal », et qu’il faut recourir à la douleur, la restriction, l’humiliation pour qu’elle « comprenne », pour qu’elle se repente ou change. Cet usage perpétue une norme sociale donnée qui légitime l’usage de la violence pour solutionner les conflits.

Car quand nous avons peur qu’une punition arrive… où portons-nous notre attention ? Nous sommes attentifs∙ves à ce qui pourrait nous arriver ! C’est le phénomène de la peur du gendarme. Le simple fait de savoir qu’il existe un système pénitentiaire et judiciaire, qui pourrait sévir si nous faisons quelque chose de mal ou de hors la loi suffit en général pour que la majorité des personnes respectent la loi (quitte à trouver de petits arrangements). Il n’y a pas besoin qu’il y ait un∙e gendarme derrière chacun∙e de nous. Nous nous gendarmons nous-mêmes, par peur des sanctions, le processus est intériorisé. Ainsi, respecter la limite de vitesse en voiture pour ne pas avoir d’amende et peut-être ne plus se rappeler que la limite sert à quelque chose (par exemple, que les piétons aient plus de chance d’avoir la vie sauve en ville ou limiter la pollution).

(Licence CC0 Public Domain)
La peur découle de l’usage répressif de la force (menace, humiliation, punition, etc.)

Deuxièmement, nous avons plus de mal à répondre aux besoins de la personne qui fait un usage de la force sur nous. En effet, comment arriver à rester centré∙e sur les sentiments et besoins de la personne qui fait un usage de la force sur nous ? Que ce soit à cause de la douleur, la restriction ou l’humiliation nous allons avoir tendance à nous méfier, à entendre ses mots comme des critiques ou des jugements, nous mettre sur la défensive, nous replier, prendre de la distance ou encore nous montrer agressifs∙ves (répondre, chercher à se venger). Utiliser la force répressive, contraignante, limite nos chances d’être entendu∙es et coupe le flux naturel d’interdépendance entre les humains.        

Quel(s) usage(s) de la force en Action Directe ?

Dans le cas de la désobéissance civile, j’ai l’impression que nous partons du principe qu’il y a danger immédiat pour l’humanité (dérèglement climatique), qu’il n’y a plus le temps de « faire de la CNV », qu’il n’est plus possible même de respecter la Loi car elle nous met tous et toutes en péril. Nous décidons alors d’avoir recours à l’usage protecteur de la force.   
Mais les changements ne sont pas forcément visibles juste après l’action (rarement même). Ils dépendent de la réaction de la « cible » (banque, institution), de son bon vouloir ; des temps de négociations, de plaidoyer sont nécessaires. Alors, il se peut que nous choisissons de réitérer, de faire une autre action, similaire ou différente, puis une action de plus grande ampleur. Bref, nous poursuivons notre stratégie car nous souhaitons à tout prix voir du changement chez l’autre. Marshall disait « nous ne pouvons jamais forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit » enfin… si l’on cherche à rester dans l’intention de la CNV ! ^-^. Alors si suite à ma « demande », je ne peux pas entendre un « non », c’est que j’ai formulé une exigence.          

Après une action directe non violente, sommes-nous capable collectivement d’entendre un « non » de la cible ? Suis-je capable moi Noa d’entendre un « non » de la cible ? Je ne crois pas. Je me sens impuissant alors je désire continuer à me battre pour limiter le dérèglement climatique . Ne suis-je pas d’ailleurs en train de me dire que la cible fait quelque chose de « mal » et que moi je lutte pour le « bien » ? Ne suis-je pas en train de tomber dans une vision d’ennemi (la « cible »), une catégorisation (« pouah, quel pollueur, profiteur, irresponsable ») ?

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Est-ce que nous ne sommes pas en train d’essayer d’intimider la cible (en jouant sur son image publique) pour qu’elle change de conduite donc d’avoir recours quelque part à l’usage répressif de la force ?   
Je cite encore une fois Rosenberg : « dès lors que nos besoins sont satisfaits de cette manière, non seulement nous perdons mais nous contribuons à la violence sur Terre » (quand bien même notre « problème » aurait été résolu à court terme).

J’ai été fervent militant pendant de nombreuses années au sein des actions directes non violentes. J’aime ce qu’elles permettent de faire collectivement : regagner de la puissance d’agir, retrouver un sentiment d’appartenance (« je ne suis pas seul∙e à avoir ces valeurs »), parfois changer concrètement les choses. Je voulais juste souligner que la non violence d’une action directe peut-être encore une fois, très différente de la philosophie de la Nonviolence de Rosenberg.
Plus je baigne dans la CNV, plus il m’est difficile de retrouver l’élan à faire des Action Directes NV, je suis partagé et pourtant mon cœur s’interroge : alors comment changer le monde en restant en cohérence avec mes valeurs écologiques et non-violentes dans le sens de Marshall ? [Lire le texte suivant]


Pour aller plus loin

Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, 2005 (édition 2015), p201-211, 260p.