Ce texte a pour intention de revenir sur la dernière étape du « processus » O,S,B,D de la Communication Nonviolente : les demandes. Comment prendre soin du lien et se détacher de notre posture d’attente du résultat ? Comment gagner en clarté sur ce que je désire vraiment puis l’exprimer sans exiger ? Comment oser demander la lune, tout en favorisant l’authenticité et la qualité de connexion. Mais attention, plus nous sommes clair∙es sur ce que nous voulons, plus nous sommes susceptibles de l’obtenir ! 😉
C’est un extrait du support que je distribue en fin d’atelier sur les demandes.
Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa
Le B avant le D !
La CNV a l’intention de créer et maintenir une qualité de relation et non pas d’arriver à un résultat. Pour moi, ce qui a été le plus précieux, le plus kiffant en CNV, ça été la découverte de mes sentiments et de mes besoins. J’ai la croyance qu’il y a des milliers de façons de nourrir ses besoins mais qu’une mise en mots ou en action déconnectée des besoins sera inutile, à côté de la plaque, voire tragique. Aussi, restons d’abord ancré∙es sur nos besoins avant de courir tels des petits personnages sans cœur ni ventre vers la stratégie !
Ceci étant dit, j’avais envie aussi de (re)voir d’un peu plus près cette dernière étape du processus CNV. Je crois que plus je suis capable de formuler des demandes claires, plus j’arrive alors à nourrir mes besoins, et plus je contribue à la clarté et à la tranquillité dans le monde ! Rien que ça ! ^-^
Pour rappel, une demande en CNV se situe dans un espace qui n’est ni de la manipulation, ni de la contrainte, ni de la culpabilisation. Encore une fois se pose la question de l’intention : pour quelle raison aimerais-je que l’autre fasse/dise ce que je lui demande ? Suis-je toujours en train de privilégier la relation ou bien le résultat ?
Ainsi, ce ne sont pas les mots qui différencient la demande de l’exigence mais la manière dont je réagirai face au refus. Si c’est une demande, je pourrai entendre que l‘autre y réponde « non » parce que je postule que l’autre a aussi des besoins, alors je pourrai me donner de l’empathie ou nous pourrions chercher une autre solution créative, ajustée pour tous∙tes les deux !
En CNV, on distingue plusieurs types de demandes : les demandes de connexion (3 sortes) et les demandes d’actions. Passons-les en revue !
Les demandes de connexion
Avant de découvrir la CNV, je vivais plutôt dans un monde orienté « action », performance, résultat. J’étais bien loin d’imaginer qu’on pouvait « fonctionner » sans faire, loin de savoir qu’il existait au moins trois façons de nourrir une grande qualité de relation, en étant simplement! J’observe que plus je pratique la CNV, plus j’ai recours aux demandes de connexion et moins je fais appel aux demandes d’action. Vous me direz si vous constatez ou non la même tendance ! Également, je ne souhaite plus faire de demandes d’action avant d’avoir pris le temps pour ces trois étapes de connexion.
Tout d’abord, la demande de contact est là pour vérifier que c’est le « bon moment » pour entrer en relation avec l’autre personne. Est-ce que je suis et est-ce qu’elle est en ÉTÉ ? C’est-à-dire est-ce que cette personne ET moi avaons l’Énergie, le Temps et l’Élan de nous écouter là maintenant ? A-t-elle le cœur ouvert ? Et moi ?
Si je cherche à ouvrir le dialogue et que je sens une tension, une défense, peut-être que cette personne ne se sent pas assez en confiance, qu’elle a besoin d’empathie, elle. « Ventre affamé d’empathie n’a pas d’oreille », selon l’expression fétiche d’Issâ Padovani, formateur certifié en CNV. Marshall Rosenberg aurait dit « Connect before correct » (« la connexion avant la correction ») : il pensait que tenter de partager son point de vue avant de s’être relié∙e empathiquement à autrui diminue drastiquement nos chances d’être entendu∙e…
Si ce n’est pas l’ÉTÉ pour moi ou pour l’autre, je peux alors choisir de reporter le moment de notre échange, d’aller voir une autre personne, de m’offrir de l’auto-empathie. Si moi je suis en ÉTÉ, je peux lui donner de l’empathie.
Si l’échange a pu se produire, que j’ai pu évoquer tout ce qui m’habitait, je peux avoir envie de bénéficier d’une reformulation : demander à l’autre personne ce qu’elle a entendu, compris, ce qu’elle en retient. Bernard Werber dit : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre… Mais essayons quand même ! »
Il se peut que l’autre personne se sente agacée que vous lui demandiez de reformuler ou s’imagine que vous la trouviez bêtasse. Il peut être utile de préciser que vous lui demandez cela car vous avez besoin de clarté vous, que cette reformulation est là pour vous !
Expl : J’ai peur de ne pas avoir été clair∙e, serais-tu ok pour me résumer ce que tu m’as entendu dire ? Ça m’aiderait si tu voulais bien me redire les éléments qui t’ont marqué dans ce que je viens de raconter là ? Ce que je viens de te dire était important pour moi, qu’est-ce que tu en as retenu, toi ? Si je me dis que la personne « reformule de travers », c’est-à-dire que si ce qui m’est renvoyé n’est pas du tout ce que j’ai voulu dire, je ne la contredis pas ! J’essaye tout d’abord de la remercier car elle a répondu à ma demande de reformulation. Et ce faisant, elle me permet de mettre en exergue le fait que mon message n’est pas passé. Puis je peux redire d’une autre façon ce que je souhaitais partager et re-demander un retour.
Expl : Merci de me dire cela ; merci pour ton feedback, pour ton retour. Ce que je voulais dire c’est que….
Enfin, il existe la demande de connexion (ou d’expression). Lorsque nous sommes suffisamment rassuré∙es sur le fait que l’autre nous a entendu∙es, que notre message est passé, nous pouvons alors lui demander un retour sur comment il ou elle ou iel se sent après ces échanges. Nous pouvons le solliciter ainsi : Comment te sens-tu après m’avoir entendu∙e ? Est-ce que ça résonne en toi ? Comment c’est pour toi ? Voire tendre la perche : t’es surpris∙e que je te dise ça ?
Parfois, il est nécessaire d’avoir recours à de la « CNV + discrète », autrement dit de la « girafe de rue », je pense par exemple face à quelqu’un∙e qui n’a pas l’habitude de parler de ses sentiments. Je peux alors dire : Est-ce que ça te parle ? Qu’en penses-tu ?
Dans ce cas, je trouve que vous risquez de perdre en qualité « d’information » sur ce qui est vivant chez l’autre puisqu’il y a un risque de le ou la renvoyer dans la tête plutôt que vers le cœur. En même temps, cette façon de faire permet de prendre soin de l’autre personne et nous donne moins l’air de ce que je considère être un « OVNI-CNV-chelou ». 😉
Les demandes d’action
C’est seulement quand je suis sûr∙e d’être dans une connexion de cœur à cœur et que je vois clair sur mes besoins nourris et non nourris en cet instant, que je peux alors formuler une demande visant à la satisfaction concrète de mes besoins. A ce moment, je suis prêt∙e à considérer que mes besoins sont aussi importants que ceux de l’autre.
Formuler des demandes claires et en lien avec nos besoins profonds nécessite de mon expérience de l’entraînement. La formulation de la demande d’action n’est souvent qu’un prétexte pour ouvrir le dialogue. Et c’est en cela qu’elle peut être, d’après moi, déstabilisante par rapport à une requête effectuée depuis le monde « chacal », car en formulant ma demande, la porte reste ouverte au refus de l’autre, je me fiche du résultat.
J’ai observé de plus que la demande que je peux faire au tout début du dialogue pourra être très différente de celle qui émergera, de façon presque organique en fin de l’échange, en fin de la danse CNV. J’ai observé que ce qui se révèle est beaucoup plus créatif, beaucoup plus de l’ordre d’un joyeux chemin de traverse que ce que j’aurais pu penser au début de l’interraction.
Une demande d’action en CNV a les caractéristiques suivantes : elle est réalisable, concrète, précise, et formulée positivement si possible dans l’instant présent, adressée à une ou des personnes en particulier (moi inclus∙e). « Qu’est-ce qui pourrait me rendre la vie plus belle, là, maintenant ? » Cela peut-être une parole, une action… mais toujours en lien avec mes besoins.
Autrement dit, pour être formulée selon les critères de la CNV, ma demande respecte au maximum les critères « CRAPO », c’est-à-dire :
Concrète : j’utilise préférentiellement des verbes d’action et je donne les détails : quel lieu, quel moment, de quelle manière, quelle quantité (ou durée), etc. L’image mentale que je m’en fais pourrait être comme précisément visualisée par la personne à qui je fais la demande.
J’évite donc les insinuations, les mots relatifs à des attitudes vagues comme « j’ai besoin de ma liberté, de respect, d’être moi-même », dont chacun∙e peut avoir une représentation mentale bien différente ! J’évite les demandes implicites ou lancées à la cantonade, je précise plutôt à qui elles s’adressent : à moi, à l’Autre, à d’autres (explicitement identifié∙es).
Réalisable : j’adapte ma demande aux compétences et aux capacités de mon interlocuteur∙trice.
Expl : à moi-même, je peux me demander : vais-je vraiment m’y tenir ? Est-ce que cette demande me donne envie, de la joie quand j’y pense ?
Au présent : je demande quelque chose maintenant, même si cette demande porte sur un rendez-vous ultérieur.
Exemple : Pourriez-vous me dire maintenant quand je recevrai mon devis pour la porte ? Au lieu de : Pourriez-vous m’envoyer le devis dans 3 jours ? Positive : je dis ce que je veux plutôt que ce que je ne veux pas.
Ouverte au dialogue : je postule que l’autre a aussi des besoins et des demandes, et qu’il est susceptible de me dire non (à ce moment, je pourrais faire appel à mes oreilles girafe pour entendre le besoin auquel elle ou il ou iel dit oui et m’apporter de l’autoempathie, ou lui offrir de l’empathie).
Enfin, la demande, c’est comme le consentement, elle s’applique sur une période de temps donné (précisée), au bout de laquelle, une renégociation est possible, selon comment nos besoins ont été nourris… ou pas par la stratégie déployée. Ce n’est pas un engagement à vie !
Exemples de demandes d’actions : [A la cantine du boulot] Est-ce que tu pourrais me passer le sel, Bertrand, qui est devant toi, dès que tu auras une main de libre ?
Peux-tu aller chercher du pain d’ici 5 à 10 min, préférentiellement une baguette sans gluten, à la boulangerie TrucTruc avec l’argent qui est dans la caisse commune ?
Je me refroidi à être sur cette chaise, j’aimerai fermer la fenêtre jusqu’à la pause de midi. Est-ce que si une personne du groupe se sent gênée par cette proposition, elle peut lever la main, qu’on en discute ?
Maintenant formulée de la sorte, pour moi, notre demande est un vrai cadeau car elle permet à l’autre personne de contribuer du fond du cœur, simplement par envie et non plus par peur, tout en ne « se lâchant pas la main » (en restant connectée avec ses besoins à elle) et nous avons plus de chances que ce que nous avons demandé se réalise comme nous le désirions !
Les oreilles de l’autre
Comment faire lorsque je formule une demande, depuis l’espace sincère de la demande… mais que l’autre personne entend malgré tout une exigence ? Cela peut arriver car si je suis responsable de ce que je dis, même si j’ai enfilé mes oreilles de girafe, je ne peux pas savoir avec certitude quelles oreilles l’autre personne a sur la tête. Une indication : si la personne a peu d’élan pour y répondre, ou si quelques temps après, elle vient me faire des « reproches », c’est qu’elle n’avait pas vraiment l’envie de contribuer, qu’elle l’a fait à contrecœur.
Je peux demander à l’autre personne : Comment puis-je demander de XXX sans que tu ne le prennes comme un ordre de ma part ? Rosenberg nous invitait à sortir une pancarte : « s’il te plait ne répond à ma demande que si tu le fais avec la joie d’un∙e enfant qui donne du pain à des canards. »
Auto-empathie et douceur
Rappelez-vous que c’est ok que la CNV ne vienne pas tout de suite, notamment à « chaud », même si ça a l’air simple. Je cite ce passage de Padovani : « Ce processus est tout simple. Allumer du feu est simple mais ce n’est pas facile. C’est simple car ce n’est pas compliqué, mais ce n’est pas facile car cela demande un certain savoir faire et une certaine compréhension de ce dont il s’agit. » Alors n’oubliez pas de vous donner de l’empathie à vous-même, d’avoir de la douceur, si jamais votre chacal intérieur prend la place et demande de l’attention !
Pour conclure, enfin, Rosenberg insiste : « La langue girafe n’est pas une langue, elle n’est pas une affaire de mots ; c’est une attitude qui nous permet de rejoindre un flot d’énergie à partir duquel il est possible de donner du plus profond de son cœur. » Pour moi, le plus important n’est pas le langage utilisé mais plutôt le changement de conscience qui précède le choix des mots.
Ci dessous le PDF qui reprend ce texte en version imprimable (cahier) :
Memo_Demandes_cahier.pdf