Le discours, d’après moi, étant un instrument de pouvoir, j’ai choisi d’avoir recours à l’écriture inclusive pour participer à la déconstruction des inégalités et des stéréotypes de genre dans notre société et commencer ainsi à dés-invisibiliser le féminin dans le français. C’est un positionnement politique bien sûr, car je ne suis pas d’accord avec l’idée que le masculin représenterait l’universel, le générique ou serait neutre, alors que le féminin serait particulier, spécifique. Je souhaite passer du pouvoir-sur au pouvoir-du-dedans (plus d’infos ici!) : me dire que ce langage est aussi le mien et que je peux décider de son évolution pour qu’il corresponde au monde qui me parle.
Pour le dire autrement, j’ai besoin de cohérence, de pouvoir parler et penser en étant en accord avec mes valeurs. Car cela me redonne de la puissance, de l’authenticité, de la confiance en moi.
Je rejoins Pınar Selek, cette activiste turque antimilitariste et féministe, qui dit : « j’aime danser avec la manière de dire les choses ».
Techniquement !
J’utiliserai donc assez souvent le point médian « ∙ » dans les terminaisons ainsi que l’alternance des pronoms personnels, et j’accorderai parfois le participe passé ou l’adjectif avec le nom le plus proche (règle de proximité).
Chacun∙e pour dire chacun et chacune; tous∙tes pour tous et toutes
Il∙elle pour il et elle, il ou elle. Parfois, un « iel » ou « yel » (au pluriel : iels ou yels) pourra m’échapper, ce néologisme est la contraction des deux pronoms personnels et permet également de dépasser l’éternelle binarité des genres dans laquelle je ne me reconnais pas.
Si les mots ont des terminaisons vraiment différentes selon leur genre, je peux les répéter : la traductrice∙le traducteur
Pour la règle de proximité, je pourrais écrire « Le raisin et la pomme que j’ai dévorée » ou « Le raisin et la pomme que j’ai dévoré∙es ». L’exemple le plus connu, que j’affectionne particulièrement est : « que les hommes et les femmes soient belles ! »
J’utiliserai le mot personne ou humain plutôt que homme (aoutch!)!
Il se peut aussi parfois que je n’utilise pas l’écriture inclusive, soit que j’ai oublié ^^, soit pour garder une certaine souplesse et de liberté d’écriture. Vous verrez ainsi parfois écrit : individu et d’autres fois individu∙e; humain∙e ou humain, etc.
PolémiqueS
Il est possible que ce choix ne sera pas au goût de tout le monde, pour avoir déjà vu de nombreux commentaires sur internet à ce sujet et avoir été témoin du passage à l’écriture inclusive dans la revue S!lence… jamais le courrier des lecteurs et des lectrices n’a jamais été aussi virulent ni nombreux! Certaines personnes trouvent que cela alourdit et complexifie la lecture (besoin de clarté? de tranquillité?), d’autres que c’est un outrage à la langue (besoin de stabilité?). Je comprends que ma stratégie ne réponde pas forcément à vos besoins. Je vous propose de réfléchir ensemble à une nouvelle stratégie qui nous convienne à tous… et toutes! Repartons de nos besoins et trouvons une solution créative joyeuse et encore une fois empuissante ! 🙂
J’évoquais dans un article précédent que la violence, pour moi, prend principalement racine dans la frustration, l’impuissance. Il m’a semblé alors bien naturel de creuser sur la question de la puissance. Mais qu’est-ce que la puissance ? Est-ce comme le pouvoir ? La puissance est-elle une « mauvaise » chose ? J’écris ce texte avec cette intention : clarifier la différence entre puissance et pouvoir. Introduire les termes de Starhawk qui me sont si chers : pouvoir-sur et pouvoir-du-dedans puis parler d’empowerement.
Texte sous licence CC-BY-NC-SA – Noa
De la puissance
Une fois en atelier de Communication Nonviolente (CNV), nous étions en train de chercher les besoins non nourris d’un∙e participant∙e qui racontait une situation vécue et à un moment, j’ai proposé « Puissance Personnelle ». Regards horrifiés du groupe et gros blanc. Je ne pourrais plus citer de mémoire ce que mon interlocutrice∙mon interlocuteur m’a répondu mais c’était quelque chose du genre : « je ne suis pas une personne qui cherche le pouvoir ».
J’ai été étonné puis peiné car pour moi la puissance est un besoin universel (au sens de la CNV) et donc ni bon, ni mauvais. Je pourrais le traduire par « accomplissement de soi » ou « autonomie » ou « force intérieure » ou encore parfois « souveraineté ». D’où vient cette confusion sémantique entre nous ?
Quand je regarde dans mon Larousse de Poche (1995, p537) à Puissance, je lis« (n.f.) 1/ Autorité, pouvoir de commander, de dominer ; 2/ état souverain ; 3/ qualité de ce qui peut fournir de l’énergie ». Dans le Larousse en ligne apparaît la notion (mais également en second !) de : « Caractère de ce qui peut beaucoup, de ce qui produit de grands effets (syn. Efficacité) ». Arg !? La puissance servirait-elle d’abord à dominer ? …
Quelques mots de Starhawk
Starhawk est une sorcière
néopaïenne, militante, féministe, écologiste et non-violente. Elle a écrit de
nombreux livres, notamment autour des actions directes non violentes
internationales (quoique altermondialistes 😉 ) et des fonctionnements des
groupes (associatifs, militants ou manifestants) pour les rendre plus
horizontaux. Sa réflexion m’est chère et m’a souvent aidé à penser.
Anne Querien, une sociologue et
traductrice de Rêver l’Obscur deStrahawk dit : « La découverte
que nous avons faite dans [ce] livre, c’est que le pouvoir n’est pas un, donc à s’approprier, mais deux ».
Starhawk parle en effet de « pouvoir-sur », ce pouvoir qui domine, qui force à faire, qui sépare, qui impose, qui meurtrit ou qui assassine. C’est que j’interprète comme le Pouvoir dans un sens habituel : « ça » vient du haut et « ça » écrabouille… Plus ce pouvoir coule, plus il nuit à d’autres. Il ne peut être exercé par une minorité et peut être perdu. Starhawk note que « les systèmes patriarcaux font passer l’agression pour le vrai pouvoir, et nient les pouvoirs que représentent par exemple le fait de créer ou de prendre soin ».
Mais il y aussi, dit-elle, le
« pouvoir-du-dedans », ce pouvoir
vivant, qui résiste, qui fabrique, mais ne se nourrit ni ne se déploie jamais
au détriment d’autrui, humains ou autres qu’humains. C’est le pouvoir de, celui que je lie à la Puissance, qui découle à la fois de
l’interdépendance entre nous tous et toutes (humains ou autres qu’humains) et
de la capacité de chacun∙e à déployer sa force, ses couleurs, sa créativité,
ses talents, ses envies, son unicité, etc. Ce pouvoir part du bas et irrigue&alimente
les alentours. C’est aussi un pouvoir qui s’arrose lui-même : plus de
puissance d’agir me donnera plus de puissance d’agir, il est peu probable que
je la perde.
Isabelle Filliozat, écrivaine,
psychothérapeute et conférencière sur les émotions&la parentalité explique autrement :
exercer un certain pouvoir (je peux
cracher, je peux courir) n’est pas la
même chose que prendre le pouvoir. Quand je peux, j’ai la capacité ou je
suis libre de. Après je peux déployer des stratégies bien différentes, qui
prennent en compte ou non autrui et ses besoins… Elle rappelle que pouvoir est un verbe et que je peux le conjuguer différemment !
Plus le pouvoir-du-dedans coule, plus ce pouvoir peut émerger chez d’autres. Car la puissance personnelle est inventive, partageuse, elle permet de créer de nouvelles réalités et de faire un pas de côté par rapport au schème du pouvoir-sur. J’observe la même chose que Starhawk, l’idéologie dominante dans notre société occidentale ne donne que peu de crédit au pouvoir-de, celui-ci est peu reconnu ou peu valorisé. Est-ce parce qu’il est si subversif et… puissant ? 🙂
J’ai plus de pouvoir que la voisine, ahah ! Victoire ?
Isabelle Filliozat se demande si j’ai plus de pouvoir que mon∙ma voisin∙e,
puis-je pour autant déclarer que j’ai ou j’exerce une quelconque supériorité
sur il∙elle ? Non, je peux seulement dire que je suis dans situation privilégiée. Hum, la question
des privilèges…
Si la puissance est un besoin au sens CNV, tous les humains en ont
potentiellement besoin (à un moment où un autre), cependant, du fait que nous
nous inscrivons dans un monde & dans une société (occidentale pour ma part)
structurellement inégale, en réalité, nous
n’avons pas tous∙toutes le même pouvoir-de !
Le concept d’empowerment définit le
développement du pouvoir d’agir des individus et des groupes sur leurs
conditions sociales, économiques ou politiques ou écologiques. Il est à la croisée entre émancipation et transformation
du monde existant (logique contestataire). Il signifie reprendre le pouvoir (pourvoir-de) de la part de personnes qui en sont ou
en ont été privées pour des raisons structurelles, intrinsèques à une société
donnée (expl : occidentale). Au Quebec, on parle
d’« autonomisation », chez Judith Butler –philosophe américaine-
d’« agentivation ». Moi, j’aime
parler de puissance d’agir, d’empuissantement.
C’est le pouvoir-du-dedans de Starhawk, quand il s’inscrit dans un contexte
politique donné.
Viens t’empuissanter !
Comment
s’empuissanter ?
Starhawk conseille de « pas avoir peur de voyager vers l’obscur »,
de descendre en soi-même, pour guérir et sortir de la haine de soi. Elle invite
à prendre conscience que nos relations (humaines ou avec les autres qu’humains
ou la terre) nous nourrissent et nous soutiennent. Et je crois bien que c’est
ce que propose aussi la CNV, même si les mots sont différents. Rosenberg
rappelle très souvent que nous sommes interdépendant∙es ; que nous ne
pouvons jamais forcer qui que ce soit à faire quoi que ce soit (je n’utilise jamais
le « pouvoir-sur » si je veux rester dans l’esprit de la CNV) et la
CNV globalement nous invite à effectuer en permanence (ou presque) un retour
sur soi.
Exemple : Ce n’est pas la personne qui « me met en rogne » car
je suis responsable de mes sentiments. Cette personne n’est que le stimulus, alors,
je descends en moi-même : quels sont mes besoins ? Je creuse jusqu’à
l’apaisement.
Pour ma part, plusieurs
dispositifs ont été d’autant de clés pour gagner en Puissance Intérieure. Tout
d’abord, tous les outils politiques d’empowerement : travailler
dans des associations différentes, découvrir puis développer la gouvernance horizontale-partagée
dans un groupe associatif, développer ma pensée politique (prendre conscience
de la convergence des luttes, de l’imbrication des dominations, que mon
parcours-mes difficultés-mes privilèges ne sont pas les mêmes que mon∙ma
camarade de militance mais ne rien prioriser ni n’oublier personne, etc.), travailler
à l’autogestion, questionner en permanence mon rapport au pouvoir
(pouvoir-sur), travailler mon cadre et ma posture, savoir d’où je parle et avec
quelle intention, et à chaque frottement (interne ou externe) : en parler,
échanger, écouter, parler pour moi (au je), penser, rencontrer encore, grandir.
Mon deuxième grand coup de cœur à
été les actions directes non violentes.
Cette façon de militer que j’ai pratiqué pendant de nombreuses années m’a
permis de me rendre compte que je ne n’étais pas seul∙e, que d’autres personnes
souhaitaient aussi changer le monde : lutter contre l’investissement dans
les énergies fossiles les plus polluantes, demander une taxation sur les
transactions financières pour récolter des fonds, empêcher la création
d’autoroutes inutiles ou de pipelines, mobiliser pendant les COP (Conférences
Internationales « pour » le climat). Ces actions me permettaient
d’avoir prise (besoin de puissance personnelle) sur des situations extérieures
qui entraient en conflit avec mes valeurs tout en nourrissant mon besoin
d’appartenance.
Enfin, sans surprise, le travail sur moi avec notamment la
pratique intensive de la CNV. Chaque jour je constate comme la CNV permet
de retrouver plus de pouvoir-de et de se guérir soi. La bienveillance, pensée
par Rosenberg, vient me réparer et m’apaiser. Ensuite, et seulement ensuite, elle
part de moi pour englober avec douceur les autres (humains) et enfin elle me
reconnecte à l’ensemble du monde (autre qu’humains). J’ai l’impression que Starhawk
voit les choses de la même façon : elle déploie (et transmet !) sans
arrêt par les discours, par les rituels, soin
et réparation, à la triple échelle de la terre, des individus et des groupes.
Je rêve d’un monde où chacun∙e
aurait conscience de son propre pouvoir-du-dedans et aurait la capacité de
l’exercer. Aussi, quelques soient vos
manières, de vous empuissanter, puissent-elles croitre, se transmettre et
proliférer !
Pour aller plus loin
Filliozat Isabelle, Il n’y a pas de parent parfait, Marabout, 2012 (5ème édition), 316p. Larousse de Poche, Dictionnaire des noms communs, 1990 (réédition de 1995), p537, 848p. Et en ligne : www.larousse.fr/dictionnaires/francais/puissance/65022 [consulté en Août 2019] Querrien Anne, Starhawk, écoféministe et altermondialiste, in Multitudes2017/2 (n° 67), p54-56. DOI : 10.3917/mult.067.0054 [Consulté en Août 2019] Rosenberg Marshall, Les mots sont des Fenêtres (ou bien ce sont des murs), La Découverte, 2005 (édition 2015), 260p. Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, Magie et Politique, Cambourakis, 2015. Wikipedia : Définition fr.wikipedia.org/wiki/Empowerment, consulté en Août 2019
Dans ce blog : des articles autour de mes réflexions personnelles ainsi que certains supports de Communication NonViolente que je donne en fin d’atelier.
Je vais profiter de ce blog pour vous partager : – des articles plus ou moins longs sur mes réflexions du moment, autour des grands thèmes de ce site (Non Violence, Écologie, Féminisme, Décroissance, etc.), reflet d’un avis bien personnel.
Petite revue non exhaustive des articles disponibles (vous pouvez les retrouver tous en regardant dans la barre latérale, à droite) :
Un article pour clarifier les liens entre la Colère & la Violence ou la Non Violence, à lire ici.
Un article (riquiqui) sur l’écriture inclusive ici
Un autre sur la puissance et le pouvoir ici (Starhawk)
Un triptyque (^^) autour des façons de faire de la désobéissance civile selon divers courants non violents (Gandhi, Actions Directes Non Violentes, la CNV) à lire de préférence dans cet ordre : ici, ici puis là.
Un texte autour pour apprendre à dire non tout en restant en lien, pour recevoir plus sereinement un non.
– le contenu de certains « mémos » que je distribue en fin d’atelier. Je rédige mes supports sous licence CC-BY-NC-SA. Vous pouvez tout à fait copier, transmettre ou transformer librement ces articles là, en me citant (Noa) dès lors que c’est pour un usage non commercial car je suis ravi de favoriser la diffusion et l’utilisation de la Communication Nonviolente par et pour le plus grand nombre de personnes.
Premiers pas pour une Communication Nonviolente – ICI.